Ce texte à été écrit en 1920 par un chef d’une tribu d’une îles proche des îles Fidji qui à eu l’occasion de séjourner dans plusieurs pays d’europe. Ce texte n'a pas été écrit pour les Occidentaux au départ mais pour la tribu.
C'est quand même épatant que ce soit un chef de tribu de l'autre bout du monde qui exprime exactement ce que je pense!
Bonne lecture!
Chaque Papalagui (Blanc) a une profession. Il est difficile de dire de quoi il s’agit. C’est quelque chose qui devrait être fait avec plaisir, mais que la plupart du temps le Papalagui n’a pas l’envie de faire. Avoir une profession, c’est faire toujours une seule et même chose, la faire si souvent qu’on peut la faire les yeux fermés et sans effort. Si, avec mes mains, je ne sais rien faire d’autre que construire des huttes ou tresser des nattes, tresseur de nattes ou bâtisseur de huttes, voilà ma profession.
Il y a des professions d’hommes ou de femmes. Laver le linge dans la lagune et faire reluire les peaux de pieds ont des professions féminines, conduire une pirogue en mer ou viser les ramiers dans les bois sont des professions masculines. (…)
Les alii (messieurs) ne donnent leur fille qu’à l’amoureux qui a une profession confirmée. Un Papalagui sans métier ne peut pas se marier. Chacun est obligé d’avoir un métier. Et chaque Papalagui doit décider quel travail il fera toute sa vie, il choisit une profession. C’est une question très importante, et l’aïga (la famille) parle autant de cela que de ce qu’elle mangera le lendemain. […]
Ainsi, la plupart des Papalaguis peuvent seulement faire ce qui appartient à leur profession. Et le plus grand chef, qui a beaucoup de savoir dans le crâne et beaucoup de pouvoir entre les mains, n’est pas capable dérouler sa natte et de la fixer à une poutre, ni de laver son bol. Et voilà encor que celui qui sait écrire une belle toussi (lettre) n’est pas apte à sortir une pirogue de la lagune et réciproquement.
Avoir une profession, cela veut dire : ne pouvoir toujours faire qu’une chose. Cette habitude de ne faire qu’une chose cache un grand manque et un grand danger, car n’importe qui peut être un jour dans la situation de devoir conduire une pirogue dans la lagune ! Le Grand Esprit nous a donné des mains pour que nous puissions cueillir les fruits des arbres et ramasser les tubercules de taros dans mes marais. Il nous les a donné pour protéger notre corps des agresseurs et pour la joie de la danse, du jeu et de toutes les fêtes ! Il ne nous les a sûrement pas donné pour ne faire que bâtir des huttes, que ramasser des fruits ou des racines, mais elles sont là pour être nos servantes et nos défenseurs à chaque moment et dans toutes les occasions.
Pourtant le Papalagui ne comprend pas cela. Son comportement est faux, absolument faux et contre tous les commandements du Grand Esprit. Nous le reconnaissons à ces Blancs qui ne peuvent plus courir, qui engraissent comme des pouaa (cochons), parce qu’ils sont obligés de toujours rester assis à cause de professions où ils ne soulèvent plus de lances, car leur main ne tient que l’os qui écrit ; ils s’assoient à l’ombre et ne font qu’écrire des toussi. Nous le voyons aussi à ces Blancs qui ne peuvent plus maîtriser le cheval sauvage, parce qu’ils regardent les étoiles ou fouillent dans leurs pensées à la recherche d’autres pensées.
Un Papalagui est rarement capable de sauter et gambader comme un enfant quand il atteint l’âge mûr. En marchant, il traîne son corps dans l’air, et se déplace comme s’il était toujours gêné dans ses mouvements. Il masque cette faiblesse, et la nie, en disant que courir, bondir et sauter ne sont pas des gestes décents pour un homme raisonnable. C’est une raison hypocrite, car ses os sont devenus durs et immobiles, et tous ses muscles ont perdu leur joie parce que la profession l’a chassée vers le sommeil et la mort. La profession et aussi un aïtou (démon) qui détruit la vie, un Aïtou qui fait de belles suggestions aux hommes, puis boit le sang de leur corps.
La profession fait encore du mal au Papalagui d’une autre manière et l’on peut encore voir l’Aïtou dans un autre de ses aspects… C’est une vraie joie de construire une hutte : abattre les arbres dans la forêt, les dégrossir en poutres, puis dresser les poutres, arrondir le toit au-dessus et à la fin, quand les poutres, les poutrelles et tout le reste sont bien liés avec de la fibre de coco, les recouvrir avec le feuillage sec de la canne à sucre. Inutile de vous dire quelle grande joie nous avons, quand un village entier érige la hutte du chef, et que même les femmes et les enfants participe à cette festivité !
Que diriez vous, si seulement quelques hommes du village avaient le droit d’aller dans la forêt pour abattre des arbres et tailler des poutres ? Et si ceux-ci ne pouvaient aider à hisser les poutres, car leur profession consisterait seulement dans l’abattage et le dégrossissage ? Et si ceux qui mettent les poutres en place n’avaient pas le droit d’entrelacer les chevrons du toit car leur travail serait seulement de placer les poutres ? Et si ceux qui interposent les chevrons ne pouvaient aider à couvrir du feuillage de la canne à sucre, parce que leur profession serait seulement poseur de chevrons ?
Et si malheureusement personne n’avait le droit d’aller chercher des galets ronds su la plage pour en couvrir le sol, parce que seuls ceux dont c’est le métier pourraient le faire ? Et si ne pouvaient inaugurer et fêter la hutte que ceux qui y habitent, mais pas ceux qui l’ont bâtie ?
Vous riez, et vous diriez sûrement comme moi : « Si nous n’autorisons qu’un seul à travailler au lieu de tous, et si chacun n’aide pas à tous faire, à quoi servent les forces de l’homme ? Ainsi, notre joie est diminuée de moitié ou elle n’existe pas.»
Et sûrement que vous déclareriez fou celui qui exigerait de ne se servir de ses mains que dans un seul but, tout à fait comme si les autres membres de son corps étaient morts et ses sens paralysés.
De là vient la plus grande détresse du Papalagui. C’est bien de puiser de l’eau à la rivière une ou plusieurs fois par jour. Mais celui qui doit puiser de l’eau du lever du Soleil jusqu’à la nuit, et recommencer chaque jour, à chaque heure, et doit toujours puiser tant que ses forces le peuvent, celui-là finira par lancer le seau de colère et de révolte par-dessus ce qui l’enchaîne. Car rien ne semble à l’homme si pénible que de toujours faire la même chose.
Il y a tout de même des Papalaguis qui ne puisent pas toujours à la même source, ce qui doit être une grande joie pour eux… Cependant, il y en a qui ne font que lever ou baisser le bras, ou tirer une barre, et souvent dans un endroit sale, sans lumière et sans Soleil, ils ne font rien qui utilise notre pleine force ou donne une quelconque joie. L’action de soulever ou baisser le bras, ou de pousser une pierre est cependant nécessaire dans la pensée du Papalagui, car grâce à cela, une machine est peut-être actionnée ou réglée, une machine qui coupe des anneaux chaulés, des boucliers de poitrine, des coquille de culottes, ou d’autres choses. Il y a en Europe plus d'êtres humains dont le visage est gris comme la cendre, que de palmiers sur nos îles, parce qu’il ne connaissent aucun plaisir dans leur travail, que la profession consomme tous les désirs, et qu’aucun de ses fruits ne devient une seule fois une pousse à leur grande joie !
C’est pour cela qu’une haine brûlante habite les travailleurs. Ils ont tous dans leur cœur comme un animal enchaîné qui se cabre mais ne peut s’échapper. Et chacun compare sa profession à celle des autres avec envie et jalousie ; on parle de hautes ou basses professions alors que chaque profession n’est qu’une activité partielle. Car l’homme n’est pas que des mains ou que des pieds ou qu’une tête, il est le tout réuni. Les mains, les pieds et la tête veulent ne faire qu’un. Quand tous les membres et tous les sens agissent ensemble, alors seulement un cœur humain peut rayonner de santé, mais jamais seulement quand une partie de l’homme vit et que les autres se meurent. Ceci conduit l’être à la confusion, au désespoir et la maladie.
Le Papalagui vit dans le trouble à cause de sa profession, et il ne veut pas le savoir. S’il m’entendait dire tout çà, c’est moi qu’il déclarerait fou, comme quelqu’un qui veut être juge alors qu’il ne peut pas porter de jugement parce qu’il n’a jamais eu de profession, ni travaillé comme un Européen.
Mais le Papalagui n’a jamais pu nous donner l’éclairage et le discernement nécessaire pour comprendre pourquoi nous devrions travailler plus que ce que Dieu exige. Dieu veut seulement que l’on soit rassasié, que l’on ai un toit au-dessus de la tête et de la joie à la fête du village. Ce travail peut paraître léger et notre existence pauvre en profession. Mais nos frères habitants authentiques des nombreuses îles, font leur travail dans la joie, jamais dans la souffrance, sinon ils préfèrent ne pas le faire du tout. Voilà ce qui nous distingue des Blancs.
Le Papalagui soupire quand il parle de son travail comme si la charge l’opprimait. C’est en chantant que les jeunes Samoans arrachent les tubercules de taros. En chantant, les jeunes femmes lavent les pagnes dans l’eau courante du ruisseau ! Le Grand Esprit ne veut sûrement pas que l’on devienne gris avec des professions, et furtifs comme les serpents et les petits animaux rampants de la lagune. Il veut que l’on reste fiers et droits dans nos actes et des êtres aux membres souples et au regard joyeux.