je suis surtout allergique a la bidochonnerie....quel bon sens ils on ces braves bhoutanais !
Pourquoi il faut interdire l’Everest aux touristes, Courrier International n° 835, 02/11/06
Dan Douglas, The Observer
Les milliers d’alpinistes et de randonneurs qui viennent gravir le Toit du monde ont transforme la region en poubelle. Il est temps de reagir energiquement.
On le decrit comme “la plus haute decharge” du monde. Jonche de detritus laisses par les alpinistes et foule tous les ans par des milliers de touristes, le mont Everest est aujourd’hui si pollue que les ecologistes reclament une solution radicale : sa fermeture temporaire. Avec les troubles politiques qui ont sevi au Nepal jusqu’au milieu de cette annee, les mises en garde contre l’imminence d’une catastrophe ecologique dans la region sont restees ignorees. Mais, maintenant que le royaume himalayen beneficie d’une plus grande stabilite, les defenseurs de l’environnement pensent que le moment est venu d’agir et que l’on ne peut plus fermer les yeux sur la situation.
En avril 2006, apres dix ans de guerilla, les rebelles maoistes ont signe un cessez-le-feu avec les autorites nepalaises et ont accepte de s’allier aux partis opposes a la monarchie [voir CI n° 816, du 22 juin 2006]. Selon l’association KEEP (Kathmandu Environmental Education Project), le calme relatif qui regne desormais dans le pays pourrait aider les ecologistes a convaincre les autorites qu’une fermeture temporaire de l’Everest est la seule solution envisageable pour reparer les degats. “La guerilla a pose de serieux problemes aux organisations ecologistes. Elle a limite l’envergure des programmes, endommage les infrastructures et menace la securite du personnel”, rappelle P. T. Sherpa, le president de l’association. “Nous esperons aussi avoir un dialogue plus ouvert avec le gouvernement. Notre premiere priorite est de mettre l’Everest au repos pour quelques annees.” Pour les ecologistes, l’amoncellement de dechets alimentaires et pharmaceutiques ainsi que la colonisation de la region par les restaurants et les cybercafes sont le prix du tourisme. C’est la population autochtone qui en fait les frais, insiste P. T. Sherpa. “Il devient extremement difficile de fournir suffisamment d’electricite et d’eau aux petits villages dissemines autour de l’Everest et des autres sommets himalayens quand plusieurs dizaines de milliers de touristes et d’alpinistes ont besoin des memes ressources. Du fait de l’industrialisation et du developpement du tourisme, le Nepal est gravement touche par la pollution de l’eau et de l’air. Les ressources en eau des villages, fournies par un systeme de captage, sont en voie d’epuisement et il est urgent de prendre des mesures”, ajoute-t-il.
En 2006, une equipe de geologues soutenue par le Programme des Nations unies pour l’environnement a releve des signes de changement importants par rapport a 1953, date a laquelle sir Edmund Hillary et Tensing Norgay ont ete les premiers alpinistes a reussir l’ascension de l’Everest. Bien que le rechauffement du climat soit l’une des principales causes de cette degradation, les scientifiques ont montre que le tourisme avait egalement un impact. Selon leur etude, le glacier qui descendait autrefois jusqu’au premier camp de base s’est retire de 5 kilometres. Edmund Hillary lui-meme ne mache pas ses mots sur une situation qui pourrait se transformer en scandale ecologique. “J’ai recommande au gouvernement nepalais de ne plus accorder d’autorisations et de laisser la montagne se reposer pendant quelques annees”, affirme-t-il.
Limiter les ascensions a deux ou trois cordees par saison
Elizabeth Hawley, qui soutient activement la fondation Himalaya Trust, creee a Katmandou par Edmund Hillary, a recemment rapporte que ce dernier etait “degoute” par les mefaits du tourisme dans la region de l’Everest et la vallee du Khumbu. “Quand sir Edmund a dit que l’acces a la montagne devait etre ferme ou limite, il n’etait pas du tout question de faire perdre leur gagne-pain aux sherpas. Nous estimons simplement, a la fondation, que l’Everest et la vallee du Khumbu ont besoin d’un repos prolonge. En effet, meme si les villages de la region sont devenus extremement riches pour le Nepal, nous sommes navres de voir que les pistes qui menent a l’Everest sont jalonnees de restaurants, de cybercafes et de bars.” “Le changement climatique et la fonte des glaciers sont des problemes planetaires, qu’il est impossible de regler localement, mais ce n’est pas le cas de la deforestation, un probleme tres preoccupant du en grande partie au tourisme. Notre campagne a contribue a ameliorer la situation, mais ce n’est pas assez. Pour que la region se regenere, nous avons le sentiment qu’il faut commencer par le commencement”, ajoute-t-elle.
D’autres voix se sont elevees sur la question, comme celle de la Japonaise Junko Tabei, 66 ans, qui a ete la premiere femme a atteindre le sommet. “L’Everest est trop frequente, affirme-t-elle. Il a besoin de repos. Le nombre de cordees autorisees a le gravir devrait etre limite a deux ou trois par saison, et il faudrait interdire les voyages touristiques jusqu’au camp de base. Les habitants de la region abattent les arbres pour chauffer les repas et preparer des douches chaudes pour les randonneurs etrangers, ce qui accentue la deforestation le long de la piste qui mene au camp. L’environnement est menace, et la montagne est en train de perdre sa dignite.” Certaines organisations craignent que meme l’ecotourisme ait davantage d’effets nocifs que benefiques. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) estime que, sur les 3 euros qu’un randonneur depense par jour en moyenne, le dixieme seulement profite a l’economie rurale. Meme si la plupart des associations caritatives qui se rendent au pied de la montagne le font pour des causes honorables, elles ne prennent pas en consideration les repercussions de leurs expeditions sur l’environnement, regrette Prakash Sharma, directeur des Amis de la Terre Nepal. “La croissance exponentielle de la pollution et la degradation de l’environnement sur l’Everest sont le resultat d’un accroissement massif du nombre de visiteurs dans la region. Alors que la region de Khumbu et la ville de Katmandou peuvent abriter 40 000 personnes, on en denombre 700 000 en haute saison. Quelque 20 000 a 40 000 visiteurs tentent de gravir les montagnes himalayennes, et plusieurs milliers se rendent meme au pied de l’Everest. La region ne disposant pas des infrastructures necessaires pour faire face a la pollution engendree par une telle affluence, l’Himalaya nepalais a fini par devenir la plus haute decharge du monde”, explique-t-il.
Parmi les tonnes de detritus laisses sur l’Everest, on trouve du materiel de randonnee, des aliments, des gobelets, des cannettes d’aluminium, du verre, des vetements, des vieux papiers, des tentes et jusqu’a des antennes satellite. Certains alpinistes disent avoir egalement trouve des seringues usagees et des ampoules sans etiquette. Par ailleurs, le nombre de corps qui jonchent les flancs de la montagne – 188, selon plusieurs decomptes – suffirait a justifier une fermeture temporaire aux yeux des ecologistes. Cependant, les sherpas, qui gagnent leur vie en guidant les alpinistes en mal d’aventure, s’opposent avec virulence a toute reduction du nombre des permis d’ascension. “Il y a dans la region plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vivent de l’argent depense par les randonneurs et les alpinistes. Si ces derniers ne viennent plus, elles finiront par mourir de faim. Un sherpa qui accompagne une cordee jusqu’au sommet de l’Everest peut gagner un minimum de 2 000 euros en deux mois. Au Nepal, cela represente une grosse somme. De quoi faire vivre tout un village”, assure l’un d’entre eux.
Malgre les rapports des Nations unies et les mises en garde des ecologistes, les autorites nepalaises n’envisagent pas de fermer la montagne dans un avenir immediat. “Tous les alpinistes sont les bienvenus, a condition qu’ils soient prets a payer”, rappelle un porte-parole du gouvernement. Quand on sait que, pour pouvoir fouler les pentes de l’Everest, une equipe de sept randonneurs doit verser au gouvernement nepalais la somme de 75 000 euros, on ne s’etonne guere de ce laisser-faire, disent les partisans de la mise au repos forcee du plus haut sommet du monde.