elisabeth Membre ACTIF (Ancien d'Essania)
Nombre de messages : 593 Age : 75 Localisation : Alpes Maritimes Date d'inscription : 13/06/2006
| Sujet: Éloge du voyage immobile Jeu 29 Juil - 6:59 | |
| Éloge du voyage immobile C'est l'été… Chacun sait que le soleil a souvent pour bienfait de nous inviter à réduire le régime du moteur de notre vie. Heureusement, d'ailleurs, qu'il continue à se montrer car, bon an, mal an, même si notre société nous éduque à agir et à produire sans arrêt pour avoir la sensation d'exister, il nous rappelle qu'il est bon, malgré tout, de se savoir simplement être. Je veux dire être… sans avoir à prouver quoi que ce soit, juste pour vivre et s'attarder aux beautés souvent discrètes de notre monde.
Oh, il ne s'agit pas pour moi de faire ici l'éloge de la paresse car le ¨lézardage¨ ne m'est pas confortable. Ralentir notre rythme peut seulement signifier arrêter de gesticuler.
En effet, en regardant nos modes de fonctionnement, j'ai souvent constaté que nous oeuvrons beaucoup moins que nous ne le pensons mais que nous nous agitons énormément, bref que nous brassons facilement du vent sans même nous en apercevoir. Notre monde est un monde de dispersion où les sollicitations constantes et les faux besoins de tous ordres nous détournent de nous-même.
Et se détourner de soi-même constitue, lorsque cela dure, une véritable pathologie. En revenir à soi, retrouver son centre n'a rien à voir avec une forme d'égocentrisme ou d'égoïsme. Si l'on n'est pas bien avec soi, comment l'être avec autrui et faire notre part pour l'harmonie de là où nous vivons.
Prendre la décision de ne plus gesticuler, c'est à cela que ça sert. Redonner de l'importance aux choses qui en ont, c'est assurément fabriquer de l'oxygène pour notre âme. C'est bon au sens plein du terme sans qu'il soit besoin de philosopher. On se met alors en prise directe avec la vie et cela suffit.
Je me souviens d'une période où, à l'issue d'un problème de santé assez sérieux, j'avais été contraint de cesser toute activité durant un mois complet. Comme le seul fait de marcher plus de dix mètres d'affilée représentait déjà tout un défi, j'en étais venu à passer plusieurs heures par jour sagement assis sur un banc adossé à ma maison. Par bonheur, celle-ci était en pleine nature. J'ai toujours aimé la nature, c'est un fait, mais la regarder tout simplement d'un point fixe durant de longues heures sans pouvoir m'y déplacer ni "goûter" à sa profondeur, cela me semblait difficile car frustrant.
Le décor que la forêt m'offrait était néanmoins beaucoup plus invitant que celui de mon bureau et de n'importe quel fauteuil. Tout en me comparant avec humour à ces vieillards que l'on voit parfois assis du matin au soir devant leur porte, je me suis donc mis à contempler mon coin de nature dans l'inaction la plus totale. Je me voyais déjà en train de rédiger une chronique sur l'ennui…
Contrairement à tout pronostic, je ne faisais cependant que débuter une magnifique et touchante aventure… Il ne s'est pas passé plus d'une ou deux heures sans que je ne commence à percevoir tout un ballet exécuté par les animaux ayant élu domicile alentours.
Bien sûr, je les connaissais, ces animaux. Il y avait les écureuils, le renard, la marmotte, le raton laveur et sa famille… sans compter une foule d'oiseaux de toutes sortes. Depuis longtemps je les avais remarqués, je les avais identifiés et je les aimais… au point d'avoir donné des noms à certains d'entre eux. Pourtant… je ne les avais jamais vraiment vu vivre et être, bien trop occupé que j'étais à "agir" de mon côté. On se croisait… mais on ne se fréquentait pas. Du moins, je ne les fréquentais pas.
Immobile sur mon banc, j'ai commencé à être attiré par les allers et venues de certains oiseaux, par leurs façons caractéristiques de voler et par leurs fonctions. Ainsi que je n'ai pas tardé à le remarquer, chacun avait son rôle qu'il interprétait sans faillir. Au fil des jours, j'ai patiemment appris à décoder celui-ci… et cela en est devenu aussitôt passionnant.
Le merle, par exemple, entonnait un chant particulier qui annonçait à coup sûr la venue de la pluie…. C'était un chant très différent de celui par lequel il appelait sa "merlette".
Quant au geai bleu, il avait son cri bien à lui pour annoncer la fin des ondées et des orages. On aurait dit que tous les animaux de la nature l'attendaient comme une sorte de feu vert avant d'oser sortir des branchages et de reprendre leurs activités. Il était aussi le gardien d'un certain périmètre… au-delà duquel il passait le relais à l'un de ses semblables. Il suffisait donc que quelqu'un se profile au bout du chemin et j'en étais immédiatement informé.
Un chat rodait dans le sous-bois ? Un écureuil le signalait aussitôt en claquant bruyamment des dents.
Il venait à manquer des graines de tournesol dans la mangeoire suspendue ? Les mésanges savaient frapper énergiquement du bec sur son bois afin de me le signaler… Je n'entendais pas assez vite ? Alors elles s'en prenaient à la vitre d'une fenêtre, bien plus sonore. La palme d'or de la communication a néanmoins été obtenue par mon ami le colibri venant faire du surplace dans les airs à cinquante centimètres de mon visage tout en poussant des petits cris caractéristiques. Sa danse bourdonnante durait jusqu'à ce que je finisse par comprendre qu'il n'y avait plus de liquide sucré dans la mangeoire qui lui était destinée. Fascinant…
Et puis, en regardant davantage vers le sol, j'ai remarqué que le putois faisait invariablement sa ronde vers dix-huit heures, que mon immobilité lui donnait envie de me renifler les pieds et que lorsqu'il levait enfin la tête en humant l'air, c'était parce que la mère raton laveur s'apprêtait à faire son apparition.
J'ai vite compris que tout ce petit monde se connaissait parfaitement et que chacun avait son tour pour entrer en scène et remplir son rôle. Tout ce que les uns et les autres avaient peut-être attendu pour me le signifier et me montrer avec familiarité qu'ils existaient vraiment, c'était ma discrétion, mon silence, mes mouvements lents, en résumé ¨mon¨ autre façon de goûter à la vie, ma fusion avec le lieu.
Exprimé différemment, je dirais maintenant que j'avais appris à ne plus polluer mon coin de nature en cessant d'être aveugle à son agencement intime. Je ne gesticulais plus, même pas au dedans de moi.
En quelques jours d'apprentissage de cette forme de communion, je savais déjà dans quel arbre se trouvait la ruche sauvage, par quels trous les tamias sortaient du sol, quel circuit précis ils empruntaient pour éviter les faucons et j'attendais avec impatience que la marmotte vienne prendre son bain de soleil sur ¨sa¨ pierre. Tout cela constituait le plus beau cadeau que je pouvais recevoir… Je ne doute pas que celui-ci m'ait appris une forme de lenteur dont j'ignorais auparavant la richesse enseignante.
Bien sûr, on me fera remarquer que j'avais alors le bonheur de bénéficier d'un environnement idéal pour ce genre de prise de conscience. C'est vrai… mais encore fallait-il le préférer aux séries télévisées dont on nous arrose à longueur de journée. Une télécommande, c'est toujours invitant de facilité…
Aujourd'hui, je n'ai plus ma maison dans les bois mais j'ai emporté avec moi l'idéal qu'elle m'a fait toucher de l'âme. Son souvenir a élargi ma compréhension du rapport que l'on peut entretenir avec le lieu où notre destin nous a placés. Et finalement peu importe ce lieu….
Si on décide de ralentir le rythme et d'écarter le rideau du temps pour regarder ce qui se passe autour de nous, en nous, et qu'on ne voit jamais, même un petit morceau de balcon en ville, même le rebord d'une fenêtre peuvent suffire à faire naître un dialogue avec un ami à plumes, l'un de ces petits frères qu'il est urgent de réapprendre à voir. Je l'ai également expérimenté, n'en doutez pas.
Certains me diront qu'on n'a pas le droit d'attirer les pigeons. À ceux-là je répondrai que moi, je le prends ce droit, tout simplement parce qu'au-delà des prétextes de ceux qui légifèrent en gesticulant, je considère que ce droit est basiquement humain. Il empêche le cœur de se dessécher, il donne une autre saveur et une autre dimension à la cadence de notre existence.
Contrairement à ce que dit une certaine chanson, je suis certain qu'il ne conduit pas à vivre sa vie par procuration mais plutôt à se la réapproprier un peu, en faisant ne tendre pause parmi son vacarme.
Daniel Meurois-Givaudan
http://www.meurois-givaudan.com/fr/page78.html | |
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Régis Fondateur/Admin.
Nombre de messages : 5359 Age : 67 Localisation : Un petit coin de paradis sur Terre Humeur : Optimiste Date d'inscription : 05/06/2006
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Jeu 29 Juil - 7:44 | |
| Un grand merci à Daniel pour cet article. Ayant la "chance" de vivre en pleine nature depuis pas mal d'années, je comprend tout à fait ce que son coeur cherche à nous faire comprendre. Le chant de la Nature est ma musique préférée. Quel que soit les soucis que je peux avoir, il suffit que j'aille promener les chèvres dans les bois puis de m'asseoir sur une roche à observer et écouter. Cela m'aide à ralentir mon mental jusqu'au point d'y faire le vide et de me laisser remplir de cette symphonie vivifiante et énergisante que nous offre Dame Nature. Alors, les soucis n'ont plus aucune consistance et je me sens toujours heureux d'être là au milieu de cette harmonie.
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Invité Invité
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Jeu 29 Juil - 9:38 | |
| Bonjour, Daniel merci pour ton écriture "sensible" de cette expérience de la nature... J'avais la sensation d'être à tés cotes en la contemplent, tel un ancien souvenir méditatif... En conscience avec Kristos, Deva-ka |
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Louise Membre ACTIF (Ancien d'Essania)
Nombre de messages : 667 Age : 70 Localisation : Montérégie, Québec Date d'inscription : 06/06/2006
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Ven 30 Juil - 0:26 | |
| Merci à tous pour cet échange... | |
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ellera Membre ACTIF (Ancien d'Essania)
Nombre de messages : 752 Age : 60 Localisation : Canada Emploi/loisirs : service de livraison Date d'inscription : 04/12/2007
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Ven 30 Juil - 1:02 | |
| Lorsqu"on cherche a exprime ce qu'on a percu , on distingue clairement ce fond de trame a laquelle nous y sommes baigner . Plus que magnifique ce recit qu'on traverse le temps. Merci | |
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soleil-levant Membre ACTIF (Ancien d'Essania)
Nombre de messages : 120 Age : 59 Localisation : Québec Humeur : rayonnante Date d'inscription : 13/08/2006
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Ven 30 Juil - 1:36 | |
| Super | |
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eautranquille Membre ACTIF (Ancien d'Essania)
Nombre de messages : 851 Age : 49 Localisation : BELGIQUE Date d'inscription : 28/11/2006
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Ven 30 Juil - 10:58 | |
| Merci | |
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Gouttdo Nouveau Membre Actif
Nombre de messages : 239 Age : 54 Localisation : Haute-Savoie Date d'inscription : 05/03/2010
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Ven 30 Juil - 21:26 | |
| Merci pour le partage en toute simplicité. J'adore les rencontres avec la Nature et ses habitants volants, rampants, courants, sautillants, nageants etc... J'en vis souvent de belles inattendues, surprenantes, intrigantes, et magiques, l'instant de quelques secondes imprimées à jamais. Dans un de ces moments de simplicité devant un feu de bois et ayant entendu parler de salamandre sans trop savoir ce que c'était, je m'étais mise à prendre pas mal de photos en disant : "coucou ! y'a quelqu'un ? C'est pour une photo, ça me ferait plaisir de vous voir...". (je parle tout le temps... même avec l'invisible, les animaux et les plantes... et comme j'ai remarqué que lorsque je demande, j'ai des réponses... alors j'en profite... hi hi hi). Chais pas à quoi ressemblent des Salamandres, mais parmi toutes mes photos prises à ce moment là, sur celle-ci j'ai l'impression de voir du monde... lol Bises. Sandrine | |
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Louise Membre ACTIF (Ancien d'Essania)
Nombre de messages : 667 Age : 70 Localisation : Montérégie, Québec Date d'inscription : 06/06/2006
| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile Ven 30 Juil - 23:39 | |
| Très belle photo Sandrine ! Tout comme toi, je n’ai aucune idée à quoi ressemblent les salamandres… Pourtant en observant la photo, j’ai l’impression de voir un « Être de feu » à la droite de la photo. Quant aux autres, j’hésite à me prononcer pour l’instant… Au plaisir de découvrir ensemble tous ces Êtres de la Nature… Louise | |
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| Sujet: Re: Éloge du voyage immobile | |
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