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 Le non désiré

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Régis
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MessageSujet: Le non désiré   Le non désiré Icon_minitimeVen 26 Juil - 10:49

Le Non désiré

Extrait du livre "Le Non-désiré - Rencontre avec l'enfant qui n'a pas pu venir" de Daniel Meurois pour se rendre compte des difficultés que traverse déjà la conscience d'une âme qui s'apprêtait à s'incarner lorsque l'avortement arrive dans les premiers temps de la grossesse...
.../...

Un matin de novembre, quelque part dans une ville du sud de la France... Le ciel est d'un petit bleu délavé et la fraîcheur de l’air semble anesthésier les rares pas­sants qui trament sur les trottoirs. Tout à l ’heure encore, il y avait un léger brouillard et on distinguait à peine l’extrémité du stationnement de l’hôpital. Quant à moi, j’attends. Oh, à franchement parler, je n’attends pas vraiment, non... Je veux dire, pas dans mon corps de chair. C’est celui de ma conscience, de mon âme si vous préférez, qui est venu se placer là, à un coin de rue, près d’une enseigne lumineuse rouge et blanche indiquant "Urgences". Il n’y a pas d’urgence, pourtant, personne de blessé que je connaisse au point de m’attirer là. Personne de blessé, non... Tout au moins, en apparence.

Je sais seulement que dans quelques instants, un homme et une femme vont pousser la grande porte de verre de l’hôpital, descendre les quelques marches de ciment de son perron puis rejoindre leur voiture sagement alignée auprès des autres. Ce sera un bien jeune couple, dans les toutes premières années de la vingtaine. En vérité, de l’un comme de l’autre, j’ignore prati­quement tout. J’ai appris qu’ils sont tous deux étudiants, lui dans une discipline scientifique et elle en psychologie. Cela fait un peu moins d’un an qu’ils se connaissent. Je sais aussi qu’ils se sont rencontrés un soir de fête chez une amie commune. C’était l’Épiphanie. Il a tiré la fève, on lui a posé la couronne de carton doré sur la tête et il a dû choisir une reine.
Voilà... Cela a commencé de cette façon, comme des centaines de milliers d’autres histoires d’amour du monde. Une histoire à la fois belle et simple. Ils se sont aimés tout de suite. Un sourire, un regard... et leur vie est partie à deux cents à l’heure, dans la même direction.

Ce que je sais encore ? Oh, vraiment pas grand cho­se ! Simplement qu’ils ont fait comme beaucoup, qu’ils ont eu peur de ce qui leur arrivait et qu’ils ont préféré, d’un accord tacite, ne pas trop s’engager et continuer à vivre chacun de leur côté, lui dans sa chambre sur le campus universitaire et elle dans le deux-pièces meublé que ses parents peuvent encore lui payer jusqu’à l’an pro­chain.

Pourquoi suis-je là à les attendre, alors ? Parce que leur passion a finalement eu raison de leur prudence d’amoureux "raisonnables". Émilie - c’est son nom - s’est retrouvée enceinte, il y a deux mois. Ce n’était pas son premier amour, elle était pourtant prévenue mais...

Sitôt le choc de la nouvelle puis une sorte d’incrédulité, il y eut un début de panique. Était-ce cer­tain ? Que fallait-il décider ? Après la trop longue attente d ’un rendez-vous médi­cal, après la confirmation du diagnostic, enfin après deux bonnes semaines d’hésitation, la décision fut prise. Pierre, "l’ami" d’Émilie, était parfaitement d ’accord. Ils ne le garderaient pas.

Oui, c’est pour cela que je suis là, ce matin, à les attendre à la sortie de cet hôpital. Certes pas pour aller fouiller dans les secrets de leur intimité, mais pour soule­ver avec pudeur et respect un autre coin du grand voile de la Vie, de cette Vie majuscule et mystérieuse qui nous dépasse encore par bien des aspects. Dans mon attente, je pense à la délicatesse de la tâche qui m’est confiée, à ce regard si inhabituel que je vais tenter de poser sur l’autre versant de la grande scène de nos existences, là où les rôles se distribuent.

Ça y est... La grande porte de verre vient d’être poussée. Elle réfléchit un rayon de soleil et Émilie appa­raît, plongeant les mains dans sa veste bleu marine alors que Pierre surgit de l ’ombre, derrière elle, l’air un peu absent.
- Tiens-moi...
- Tu te sens mal ?
- Non mais tiens-moi...

Leurs voix me parviennent du dedans. Elles se veu­lent fermes et fortes tandis que je cesse mes réflexions pour mieux tout graver dans ma mémoire. Émilie cherche un instant l’épaule de son compagnon mais celui-ci reste gauche. Il laisse tomber le livre qu’il tenait à la main et finalement demeure en arrière cepen­dant qu’elle presse le pas vers leur véhicule.
- C’est toi qui conduis...

Pierre ne sait que faire. Il bredouille vaguement trois mots que je ne capte pas. À vrai dire, il paraît beaucoup plus fragile qu’elle, dans ses jeans un peu trop grands et ses grosses chaussures de sport. La voilà qui est déjà dans la voiture alors que lui ramasse pour la deuxième fois son livre. Enfin, il parvient à se mettre au volant.
- Tu me jures que tu ne te sens pas mal ?
- Non, ça va... Ramène-moi juste chez moi. Écoute, ce n’est pas si grave... Isabelle s’est fait faire ça l’an der­nier. Idem pour sa cousine, d’ailleurs. Et elle, elle n’a­vait personne... Allez, dépêche-toi... Tu vas être en re­tard à tes cours.

Bref instant de silence dans l’habitacle du véhicule. Pierre et Émilie s ’embrassent du bout des lèvres et voi­là... Le contact est mis, le moteur ronronne, ils s’éloignent dans un crissement de pneus pour rejoindre chacun leur vie. Maintenant, ils ne sont plus que deux, c ’est bien sûr...

Moi, de mon côté, je continue de rester immobile et ouvert près de l’enseigne des urgences. Comment procé­der ? Ce n ’est pas pour assister à cette scène peut-être touchante mais, somme toute, banale que j’ai projeté ma conscience jusqu’à ce lieu. J’ai un but : rejoindre la présence qui vient d’être expulsée, aspirée hors du ventre d ’Émilie. Qui est-elle et que vit-elle, cette présence ? Je ne peux croire qu’elle ne signifie rien ou pas grand chose, qu’elle ait surgi de nulle part puis s’en soit retournée évi­demment vers ce même nulle part. Si elle pouvait me di­re... me raconter son chemin, me parler de l’itinéraire inconnu de ceux qui, un jour, pour mille raisons différen­tes, ont vu la porte de notre monde se refermer brusque­ment devant eux.

Ma méthode sera simple, habiter pleinement mon âme et dilater mon cœur tout en veillant à ce que ma luci­dité ne fléchisse pas. C’est de cette façon qu’avec mon corps de lumière, je me propose d’enregistrer le film du témoignage à offrir et que voici...

Pas de tension en mon être, pas même une volonté de diriger quoi que ce soit dans ce que je souhaite voir se passer. Je me laisse progressivement absorber par l’ambiance de l’hôpital, par tout ce qui bouge et qui respire intimement, non pas au-dedans de ses murs de béton, mais au-delà de ceux-ci. Derrière la lumière des blocs opéra­toires, derrière celle des couloirs et des chambres où l’on s’interroge. C’est ainsi qu’il me semble m’élever dans les airs...

Le grand stationnement de l’hôpital avec ses voitures endormies s’estompe doucement et je ne suis bientôt plus qu’au sein d ’une lumière blanche. Cette dernière est comme une matière, j’aurais presque envie de dire... une matrice. Des formes indistinctes et timides me frôlent, des chuchotements se font entendre. Moins que des murmures... Des caresses de pensées à peine formulées, questionnantes et inquiètes.
Je me trouve à la frontière entre deux mondes. Celui que l’on dit des vivants, le nôtre, et l’autre, celui de der­rière le miroir, où l’on se sent tout aussi vivant. Je n’ai plus qu’à attendre et à espérer. Pour que le contact s’établisse, je dispose d ’une possible petite clé : Je vais juste me représenter intérieurement les visages de Pierre et Émilie. Si ma démarche est juste, leur image en mon esprit sera le fil d’Ariane qui me mènera à la présence. .. ou conduira celle-ci jusqu’à moi.

- Est-ce bien vous ?
- Tu m ’attendais ?
- On m’a dit que vous existiez, que vous pouviez peut-être m’aider et que...

La voix s’est arrêtée là, incertaine et comme si elle s’était elle-même soudain censurée. Je me mets alors à chercher dans la lumière jusqu’à me plonger plus encore dans ce que j'appellerais les interstices de sa substance laiteuse. Je sais que j'ai maintenant pénétré dans un es­pace mental, celui de l’être que je cherche et qu’il me faut apprivoiser en tendresse.

- Tu m’attendais donc ? ne puis-je m’empêcher de répéter.

Un long moment se passe puis, autour de moi, l’o­céan de lumière se fait un peu plus léger, moins compact. Quelque chose en émerge alors progressivement et commence à occuper tout mon champ de vision. C’est un regard ! Un beau grand regard bleu... presque pas hu­main, dirait-on. À la fois très familier et totalement étranger... Je l’observe. Il essaye de sourire, cependant quelque chose se contracte en lui. Il ne le peut pas.

- Oui, il faudra m’aider, reprend la voix qui s’en dé­gage désormais avec précision. J’ai besoin d’aide. On m’a dit que je devrai aussi vous raconter mais... Je ne sais pas si je le pourrai. J’ai besoin de dormir... Dor­mir... Je ne sais même plus où je suis.

- Je reviendrai... Ce sera facile maintenant que nous nous connaissons un tout petit peu. Mais une seule chose me manque encore pour te retrouver plus facilement... Ton prénom.

- Mon prénom ? Disons... Disons que c’est Florence. C’est celui-là que j’ai toujours préféré porter.

Voilà... Nous en resterons là pour aujourd’hui. Je n’insisterai pas. D’ailleurs, le regard de Florence s’éteint de lui-même. Il se replie tel un éventail dans cette clarté souffrante qui nous a réunis l’espace de quelques instants.

Florence... C’est donc à toi que la Vie a confié la difficile tâche de nous guider sur le chemin de ceux que j’ai appelés les "non désirés"...

Entre deux mondes
Je viens de laisser passer deux pleines journées. Une sorte d’intuition m’a dicté cette patience. Je sais qu’il ne faut rien brusquer car on ne pénètre pas "comme cela" au cœur du cœur d’un être, d’un seul élan, je dirais égoïstement, sous prétexte d’une bonne cause. Mais là, je sens que c’est le moment... Une détente profonde, quelques respirations et me voilà parti sur un fil de lumière à la rencontre de Florence. C’est un fil ten­du entre nos consciences respectives, une sorte de sas dans lequel je m’engouffre pour franchir instantanément cette impression de distance qui nous sépare.

- Florence ?
Je m’adresse à un océan de clarté, à cet espace lumi­neux qui, déjà, m’entoure de toutes parts. Cependant, en même temps que je le formule, je réalise que mon appel n’a pas lieu d’être. Il est désamorcé. Le regard bleu de celle que je cherche a aussitôt occupé tout mon champ de vision.
Je voudrais m’en éloigner un peu, prendre du recul pour capter la totalité d ’un visage, peut-être une sil­houette. Impossible... Le regard de Florence est rivé au mien, presque intérieur à lui et je le reçois comme der­rière une loupe.

- Je suis... si éparpillée, murmure la voix qui s’en dégage, si... douloureuse... Je ne sais pas comment vous dire. Je ne sais même plus si j’ai un corps.

- En tout cas, tu as des yeux, ça je peux te l’assurer !

La réflexion m’est venue d’un coup. J’en ai volontairement forcé le ton amusé pour tenter de chasser quelques nuages.
- As-tu dormi pendant tout ce temps ? Deux journées complètes, sais-tu ?

- Deux jours ? J’aurais dit... trois ou quatre heures. Il me semble que la première perception de votre présence s’est à peine éteinte en moi et que quelqu’un vient juste de rallumer la lumière... Mais non... Ne partez pas ! C’est si lourd d’être si seul ! Attendez au moins que je me rassemble... J’ai l’impression que mes bras et mes jambes se sont complètement dissous. C’est tellement pénible !

- As-tu mal ?

- Je ne sais pas si je peux dire que je souffre. C ’est... comme une prison. Il me semble être prisonnière de ma tête, un peu comme si tout le reste n’existait pas ou était anesthésié.

- Veux-tu me raconter ? Je crois que si tu me faisais entrer dans ton histoire, cela pourrait créer un mouve­ment, espacer les barreaux...
- Oui, raconter... C’est cela qu'on m’a dit. Il faut que je me force à le faire.

- "On" ? De qui veux-tu parler, Florence ?

- De ma famille et de mes amis, de ceux qui habitent l’endroit d’où je viens. Cet endroit-là est un peu comme l’envers de la Terre, voyez-vous, comme le négatif d ’une photo. Ou plutôt, ce serait le contraire qu’il faudrait dire car ce négatif-là ressemble davantage à un positif. Il est tellement plus lumineux, plus vrai ! C’est pour cela que j'ai eu l’impression de mourir quand j’ai commencé à le quitter, pour descendre...

Florence vient de s’interrompre. Je vois bien que je lui fais mettre le doigt sur sa blessure et que mon inten­tion de la pousser à s’exprimer a peut-être été trop pres­sante. A-telle capté mes pensées ? C’est vraisemblable car elle s’empresse de reprendre.

- Non... C ’est juste et bon que je parle de cela, comme cela et maintenant. Vous avez raison, il faut que je sorte de ma prison.

- Alors, peux-tu m’en dire davantage sur ce lieu, sur ta famille, sur les circonstances qui t’ont fait te rappro­cher de la Terre ? Évoque tes souvenirs...

- Oh, mais ce ne sont pas des souvenirs ! C’est encore maintenant et c’est tout vivant en moi. Je ne les ai pas vraiment quittés. Ils sont là, je les devine, à deux pas ! C’est seulement moi qui me suis enfermée dans une autre réalité. J’ai commencé à descendre un escalier pour aller rejoindre votre monde et voilà que je me sens bloquée, quelque part sur une marche, entre deux univers. J’ai surtout l’impression d’avoir été trahie. C’est cela qui me fait mal et me donne la sensation de m’effriter... après tant de douceur. Je suis dissociée, voyez-vous. Oui, c ’est certainement le terme qui correspond le mieux à ce que je vis. Et puis...

- Oui ?

- Et puis... Depuis que je me force à vous parler, il me semble qu’il y a une colère terrible qui monte en moi. Il y a si longtemps que je n’avais pas éprouvé cela ! J’en ai honte. Je n’y peux rien et cela me donne envie de pleu­rer. Pourquoi ont-ils fait cela ?

Florence a presque hurlé en prononçant ces mots. Tout au moins, je les reçois tel un véritable coup de poing au-dedans de moi. Leur impact crée un instant de silence et leur onde de choc se répercute aussitôt sur l’espace de lumière qui nous enveloppe. Celui-ci se fait plus terne. Simultanément, un voile se tire devant le regard de Florence et je crains que la jeune femme ne me quitte pour aller s’enfermer dans une prison intérieure plus dense encore.

- Florence ?

Elle sursaute. La pupille de ses yeux se dilate, un léger pétillement s’y glisse.

- Oui, je suis en colère ! reprend la voix au centre de mon crâne. J’ai l’impression d’une marée qui monte en moi... Je ne sais pas si c’est elle qui me fait si mal ou si c’est l’abandon de tout un beau théâtre que je m’étais fa­briqué. Ça me vrille ! C’est... physique, voyez-vous !

J’aimerais pouvoir serrer Florence contre moi, ne serait-ce qu’une seconde, pour la consoler et la ramener à davantage de vie mais sa présence demeure extrêmement inconsistante. Un regard, c’est à la fois tout et rien ! Dans l’espace où nous nous apprivoisons l’un l’autre, il n’y a même pas une main que je puisse saisir pour lui offrir un peu de force et traduire ce que les mots sont incapables de com­muniquer. Je ne suis certain que d’une chose : il m’appartient sans tarder de faire avancer la situation, faute de quoi l’âme de Florence risque un enlisement dans une révolte qui ressemblera à de la glu. Il faut d ’abord que j’ose une question, même douloureuse.

- De qui parlais-tu en me disant : « Pourquoi ont-ils fait cela ? » Penses-tu seulement à Émilie et à Pierre ou aussi à ceux qui t’ont peut-être "suggéré" de prendre à nouveau un corps ?

Un autre silence s’installe entre nous. J’ai pris le ris­que de blesser et ma question a effectivement dû être ressentie comme impertinente parce que prématurée. D’ailleurs, je ne capte même plus le regard de Florence. Il s’est estompé, dissout, devrais-je dire, dans l’espace laiteux où je me trouve. Pourtant, quelque chose me fait deviner que mon interlocutrice est toujours là, qu’elle s’est tout simplement retirée dans ses pensées.
Cette fois-ci, je ne l’appellerai pas afin de la ramener vers moi. Si elle se replie dans son jardin intérieur, c’est qu’il est trop tôt...

- Oui... C’est vous qui avez raison... Autant que je vous raconte tout de suite...

La voix de Florence a refait soudainement irruption au centre de mon crâne tandis que je m’apprêtais à m’effacer.

- Je reviendrai demain, si tu préfères...

- Demain ? Cela ne signifie rien pour moi. Ici, vous savez bien qu’il n’y a pas de jours, pas de nuits, pas vrai­ment de temps qui passe. Je suis dans l’espace de ma conscience, je vous y ai accepté et si rien ne bouge dans cet espace, c’est alors que quelque chose en moi se figera et que j’aurai l’impression de mourir pour de bon.

- Comme une goutte d ’eau qui se transforme petit à petit en glace ?

- Exactement. Si ma pensée tourne sur elle-même et se cristallise autour de ce que je viens de vivre, je vais m’enfoncer dans ma prison de colère et de solitude, je le vois déjà. Il faut me parler et aussi que je parle ! C’est cela que vous ne comprenez pas sur Terre quand vous ne voulez pas de quelqu’un... Vous le renvoyez d’où il vient sans lui avoir dit la moindre chose ni lui avoir offert la moindre occasion de vous communiquer quoi que ce soit, ne serait-ce qu’une sensation, un mot, un nom, une image. Vous lui expédiez un : « On ne veut pas de toi », tout en préférant ne pas associer ce "toi" à quelqu’un qui pourrait entendre. En fait, vous vous forcez tous à croire que ce "toi", c ’est "personne", juste une petite larve grosse comme un pépin de raisin ou un noyau d’olive. Si au moins vous nous parliez ! Si vous ne faisiez pas semblant de croire qu’il n’y a rien !

Dans son cri de révolte, Florence a insensiblement laissé réapparaître son regard face au mien. La colère a même appelé en lui, me semble-t-il, une sorte de vie dont il se montrait dénué. Elle l’a - si j’ose l’expression - in­carné davantage.

- Oui, je vais vous dire pourquoi j’en suis là, pour­quoi je me trouve maintenant dans cette sorte d’impasse où je ne sais plus vraiment qui je suis et où je balance entre révolte et mendicité... Je me sens comme une men­diante d’amour, vous voyez ! Il y a trois ou quatre mois de votre temps, j’étais pourtant encore si pleine d’espoir !

- Tu ne t’attendais pas à ce qui est arrivé ?

- J’espérais... J’espérais passer à côté d ’une telle épreuve.

- Tu ne réponds pas vraiment à ma question...

- Écoutez, il vaut mieux que je reprenne tout cela au début. Vous comprendrez mieux et cela m’aidera sûre­ment à me réveiller de ce mauvais rêve... À vrai dire, c’est une histoire qui n’a pas vraiment de commencement parce que le début du chemin d’une âme se perd toujours dans la nuit des temps... Mais je vous raconterai ce qui est encore proche de moi et qui peut être utile... Comme tous et toutes, j’ai vécu d’innombrables fois sur Terre et, entre chacune de mes vies, j'ai rejoint ce monde de repos et de douce lumière que certains appel­lent Devachan ou encore Purgatoire. C’est là, vous le savez, que l’on reprend nos forces, que l’on tente de panser les blessures de notre âme, que l’on fait le point sur nous-même, sur ce qu’on n’a pas compris et sur ce qui nous reste à apprendre. C’est là aus­si que l’on finit par rassembler nos outils pour préparer la prochaine vie qui, tôt ou tard, finira par s’ouvrir à nous.

Je dis la prochaine vie mais, très franchement, cette réali­té est souvent perçue comme la prochaine mort ! C’est toujours le même processus qui se met en pla­ce : dès qu’il nous faut radicalement entrer en métamor­phose, un sentiment de mort s ’empresse de nous habiter, tel un réflexe de protection. La peur de perdre...

Mon âme est féminine, voyez-vous. Sa polarité est inscrite dans ce que j’appelle sa... biologie subtile même si, pour des raisons d ’apprentissage et donc d’évolution, elle a été amenée à devoir accepter de prendre des corps masculins de temps à autre. Si je vous le précise, c’est justement parce que cela a de l’importance dans mon his­toire. Ce que je suis en train de vivre est même directe­ment relié à la dernière de mes existences en tant qu’homme.

- Tu veux dire que tu es consciente d ’avoir semé "quelque chose" dans cette vie-là ?

- On sème toujours quelque chose, quoi que l’on fas­se. Mais attendez, ce n’est pas si simple... N’allez pas mécaniquement faire croire que si je souffre, c’est parce que j’ai d’abord fait souffrir. Vous ne la trouvez pas un peu facile et naïve cette compréhension du karma ?

J’ai maintenant envie de sourire en écoutant Florence me parler de la sorte. Elle s’anime du dedans et je la sens davantage vivante, presque prête à briser un mur, la paroi opaque de ses résistances de blessée. D’ailleurs, on dirait que son regard dilaté et comme désespéré s’est légèrement éloigné du mien. Encore un peu et je pourrai bientôt deviner des pommettes, des tem­pes, peut-être un front, signes que Florence aura com­mencé à rassembler sa perception d’elle-même, en d’au­tres termes, qu’elle va se redéfinir en se recentrant autour de ses souvenirs.

- Oui, je vois ce que tu veux dire avec le karma. Tu penses à un scénario puéril du style : « Elle a été un homme qui a tué, donc elle paie une dette en se faisant refuser la vie... »

- C’est cela. Il faut gommer ce genre de... réflexion-réflexe trop facile. C’est caricatural et cela ne laisse au­cune place, aucune chance au moindre souffle d’amour !

- À la compassion ?

- Oui, c ’est le mot que je n’osais pas prononcer. Écoutez... Je vous disais que j’avais été un homme dans ma dernière existence sur Terre. Il fallait que j’apprenne à affirmer certains aspects de ma personnalité dont mon sens de la décision. Dans le contexte que je pouvais trouver à cette époque-là, un corps masculin m’en donnait davantage l’opportunité. Je suis donc née homme, ou plutôt petit garçon et j’ai grandi dans une famille relativement aisée. Mon père diri­geait une métairie. Là, j’ai appris le métier à ses côtés, les responsabilités, la direction des ouvriers, la nécessité constante et grandissante de devoir prendre ma place dans un contexte difficile, celui des années précédant juste la dernière guerre mondiale.

C ’est alors que je suis tombé amoureux d’une fille du village voisin. Vraiment amoureux. Une passion mutuelle qui nous a fait dépasser... les limites admises à cette époque-là. Nous étions peu avertis, alors, vous l’imagi­nez, mon amoureuse s’est rapidement retrouvée enceinte. Un drame ! La guerre allait éclater, je serais inévitable­ment appelé, l’enfant serait sans père et nos deux familles choquées dans leurs principes.

En fait, j’ai paniqué et je me suis fâché. J’ai même accusé celle que j’aimais de ne pas savoir « comment ça marchait », de ne pas se connaître. J’en ai tremblé pen­dant des jours. Je m’en souviens, nous ne nous parlions presque plus. Pour moi, une seule solution s’imposait : ne pas garder l’enfant. « Après tout, me souviens-je aussi avoir dit, ce n’est même pas encore un enfant... Et puis, personne n’en saura jamais rien ! » Suzanne a d’abord résisté. Elle ne voulait pas. Elle prétendait qu’elle saurait s’en occuper même seule et qu’elle se moquait bien de ce que les gens diraient.

Moi, je n’ai rien voulu entendre de ses arguments. Mon estomac se nouait et j’avais peur. Là, j’ai pleine­ment joué mon rôle de mâle venu au monde avec le be­soin de s’affirmer. J’ai été si têtu et si persuasif que j’ai fini par emmener ma fiancée chez une de ces femmes que l ’on appelait alors des "faiseuses d’anges". Cela s’est passé rapidement et, effectivement, per­sonne n’a jamais rien su. Il n’y a eu que le regard de Su­zanne pour en porter la tristesse et, certainement, la cul­pabilité inavouée.

Quelques semaines plus tard, j’ai dû, ainsi que je m’en étais douté, endosser l’uniforme. J’ai rejoint je ne sais plus quel régiment et je ne suis plus jamais revenu. La guerre m’a avalé. Voilà... Maintenant, vous savez quelle graine exacte j’ai semée. Vous voyez, je n’ai pas voulu tuer, je n’étais pas un assassin...

Au cœur de cet aveu, c’est le visage entier de Flo­rence qui s’est mis à apparaître. Il est là maintenant, de­vant moi, avec son ovale parfait, à la fois douloureux et paisible, semblable à ceux qui nous troublent dans certai­nes peintures italiennes.

Florence a les yeux baissés et tente de sourire comme si elle était satisfaite de s’être débarrassée d’un poids en me livrant son récit. Autour d’elle, il n’y a encore rien d’autre que la lumière. Le reste de son corps ne m’est même pas visible. En réalité, c’est parce qu’il n’existe pas pour Florence. Il n’a plus de réalité dans sa pensée. Depuis l’instant de son expulsion hors du ventre d’Émilie et de son ambiance vibratoire, l’image mentale qui faisait sa cohésion s’est dissoute. L’idée que Florence entretenait d’elle-même dans sa réalité corporelle s’est désassemblée.

- Vous ne dites rien ?

Mon interlocutrice vient de lever les paupières. Je ne vois plus l’ombre d’une révolte dans l’éclat de ses yeux. Une insondable tristesse l’a, semble-t-il, remplacée.

- Je ne suis plus personne, comprenez-vous ? Je vous ai dit que je m’appelais Florence mais, en réalité, cela ne signifie pas grand chose. J’ai été une Florence une fois dans une vie. Ce prénom résume un peu ma couleur d’âme et c’est pour cette raison qu’il est remonté d’un coup quand il a fallu que je vous en propose un. Mais présentement, au fond de moi, je ne sais absolument plus qui je suis, où je vais ni comment j’y vais. J’ai abandonné ma place "là-haut" et j’ai été jugée indésirable "en bas". Je vous le répète, je me sens bloquée entre deux portes. Pouvez-vous me comprendre ? Est-ce que mon cri, au moins, va servir ?

C’est mon être tout entier qui répond d’abord à Flo­rence... Il y a une sorte d’onde de chaleur que je sens s’éloigner de moi. Les âmes communiquent souvent ainsi lorsqu’elles sont en dehors de leur support de chair. Dans de tels moments, les mots que nous connaissons et que nous enfilons les uns après les autres sur la ligne de notre pensée deviennent pauvres même si nous finissons, tôt ou tard, par nous y raccrocher.

- Il faut, vois-tu, que tu n’hésites pas à faire sortir de toi le détail de tout ce que tu as vécu. C’est ainsi que tu vas te retrouver et renaître et puis aussi... que ce que tu viens d’appeler "ton cri" sera pleinement reçu.

Encore un silence... Parfois, j’ai la fugitive percep­tion de déplacements lumineux autour de nous. En réalité, je me sens très distinctement au centre d’une bulle, d’une sphère totalement virtuelle, générée et modelée par la conscience de Florence. Il s’agit d’un monde où se déplacent des masses d’énergie. Celles-ci ne sont pas nécessairement des présences, mais des vagues, des champs de force issus de son activité mentale et de son univers émo­tionnel.

- Oui, je crois que je comprends mieux, balbutie en­fin l’âme de Florence. Vous voulez savoir aussi comment j’ai vécu... mon avortement ? C’est étrange, ni vous ni moi n’avions prononcé ce mot-là, jusqu’à présent. Je viens juste de le réaliser. Il est au cœur de ce qui nous fait nous rencontrer et c’est comme si nous en avions peur. Peur de faire mal ? De toute façon, j’ai déjà mal, alors autant entrer dans ma souffrance pour la dévitaliser et faire œuvre utile.

Écoutez... Devoir abandonner après un peu plus de deux mois l’embryon qui était sensé devenir notre corps, on peut penser que ce n’est pas grand chose. C’est d’ailleurs ce que je m’étais dit lorsque j’ai pris le risque d’accepter Émilie et Pierre pour parents... Quant à eux, ils n’ont même pas dû vraiment se poser la question. Dans leur esprit, leur amour avait juste "mis le feu" à une petite chose microscopique qui n’était même pas encore de la chair. Comment leur en vouloir ? Souvent, je les ai entendu en parler...

- Tu allais fréquemment les visiter depuis qu’Émilie se savait enceinte ?

- Oh, même bien avant ! Dès que ma conception a eu lieu, j’ai commencé à les rejoindre tous deux. Je me suis d’abord simplement glissée dans leur aura commune... C’était pour m’habituer à son odeur. Oui, une aura, cela a une odeur et il faut bien l’apprivoiser... Toutes les âmes qui vont naître font cela. C’est comme un mécanisme dé­cidé par la Nature elle-même. C’est aussi une façon de mesurer nos compatibilités. Il s’agit d ’une période beau­coup plus importante qu’on ne le croit. Vous savez... Dans le monde d’où je viens, j’ai une amie qui n’est pas parvenue à passer ce cap. Il y a eu une sorte de... dissonance entre son propre rayonnement et celui de ses parents potentiels. Une semaine après la conception, elle a dit non... Toute son âme s’est crispée et il s’est produit un véritable phénomène de rejet sponta­né. La jeune femme qui devait être sa mère n’a même pas su qu’elle avait été enceinte !

De tels événements ne sont de la responsabilité de personne, voyez-vous. Il y a des couleurs, donc des parfums, qui ne se marient pas aisément. La Vie essaie par­fois de créer des ponts entre eux, de les rapprocher pour nous donner l’occasion de dissoudre, par exemple, de vieilles tensions, mais nombre de ces tentatives échouent parce que sans doute prématurées. Il existe une chimie subtile et extraordinairement intelligente derrière tout ce­la. C’est difficile à imaginer quand on n’est pas immergé dans un tel contexte.

Pour moi, ça a été très simple. L’aura de couple de Pierre et Émilie m’était agréable. Je la sentais harmo­nieuse. Y pénétrer, c’était comme enfiler une robe soyeu­se. Oh, c’est sûr, je ne pouvais pas y faire de longues incursions ! C’était encore si étranger au monde d’où je venais et où une bonne partie de mon être vivait toujours ! Je n’ai pu y pénétrer vraiment qu’au bout de trois semaines, lorsque le cœur de mon embryon s’est mis à battre. Évidemment, là aussi il n’était question que de moments très brefs... Alors, je faisais des allers-retours entre ma famille de là-haut et l’autre, celle qui était sen­sée devenir la nouvelle. Je n’étais coupée de rien. C’est cela l’une des douleurs de l’avortement, comprenez-vous ? L’âme est soudain si dispersée qu’elle ne retrouve plus son fil directeur pour rentrer chez elle.

- Tu étais donc déjà si attachée à ton petit fœtus ?

- Moi, je n’y étais pas encore très attachée affective­ment. .. mais le lien physique était déjà si fort !

- Même après seulement deux mois ?

- Oui... On m’avait prévenue et c’est ce que je ne cesse de constater en cet instant.

- Mais pourquoi dis-tu "physique" ? Tu parles de ton âme comme d’une réalité matérielle...
- Parce que quand on est dans son âme, on est dans une matière aussi. C ’est une autre définition de la ma­tière, voilà tout. Je ne sais pas comment l’expliquer autre­ment. Celle-ci est infiniment plus souple, elle ne se plie pas aux mêmes lois... mais il n’empêche qu’elle corres­pond à une réalité très concrète. Et puis... et puis, il y a autre chose qui intervient.

- Tu veux parler du corps éthérique ?

- Oui, tout ce réseau énergétique, ce tourbillon de forces puisées dans la Nature fait que le schéma du corps à venir se tisse tout autour de l’embryon, puis du fœtus. Vous dites que c’est éthérique mais ce mot-là est trom­peur. On a l’impression, quand on l’utilise, qu’il évoque quelque chose d’inconsistant. Pourtant, l’éthérique c ’est... un peu comme de l’électricité. Imaginez un monde fait de réseaux électriques extrê­mement complexes et d’intensités différentes... Vous au­rez ainsi une idée de la nature des forces puis des échan­ges qui se mettent en place entre le corps de l’âme et... ce qui se passe dans le ventre d’une femme. Ce sont tous les principes de l’univers qui se donnent rendez-vous là. Alors, vous savez, si, brusquement, on brise cet agencement... c ’est comme un énorme court-circuit. Voi­là pourquoi je disais : « c’est physique » et pourquoi le choc m’a dispersée.

Les paupières de Florence se sont baissées lentement. Je n’ai pas de peine à imaginer qu’elles tentent ainsi de dissimuler quelques larmes... Ce qui me frappe, c’est l’extraordinaire maturité de Florence, je veux dire sa lucidité d’adulte. Elle me donne l’ultime preuve que ce ne sont pas des petits enfants ni de vagues présences vierges de tout qui se rapprochent de la Terre pour naître à travers le corps d’une femme. Ce sont des êtres à part entière avec leurs bagages et qui vivent tout selon l’ouverture de leur conscience.

- Pouvons-nous continuer, Florence, ou as-tu besoin d’être seule ?

Mon interlocutrice reste encore prostrée durant quel­ques instants puis, enfin, elle se redresse.

- Non... C’est l’activité de ma pensée qui me fait du bien. Restez... Il faut parler à tous ceux qui sont "refu­sés", c’est vital. Je me sens un peu semblable à un tissage dont il ne subsisterait plus que la trame verticale. C’est cela, en effet ! Tous les fils horizontaux, tout ce qui faisait que j’avais une "couleur", une forme, une sorte d’identité, tout cela s’est défait brusquement. Vous voyez, l’âme est si proche du corps ! Quand on est sur Terre, on a toujours la conviction qu’il s’agit de deux mondes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre, que leur frontière n’est pas poreuse. Or, c’est tout le con­traire, il y a des... fils téléphoniques tirés en permanence entre les deux. On ne touche pas à l’un sans interférer sur l’autre et vice versa.
Je sais bien, il faut au moins être persuadé de l’exis­tence de l’âme pour avoir une chance de comprendre ce que j’essaie de vous expliquer... ou tout simplement espé­rer recevoir un peu de tendresse quand on va se faire... aspirer en dehors d’un ventre. Juste un peu de tendresse ! Est-ce si difficile ?

Une fois de plus, l’image de Florence est en train de s’effacer. Je ne peux m’empêcher de songer à un escargot qui rentre dans sa coquille au moment où il faudrait, au contraire, qu’il avance... Pour sortir Florence de l’espace de semi-conscience douloureuse qui semble encore vouloir l’engloutir, je lais­se jaillir la première question qui me vient à l’esprit.

- Et pour Pierre et Émilie ? C’était comment ? Est-ce que tu savais s’ils croyaient en quelque chose ? La notion d’âme avait-elle un sens pour eux ?
La voix qui tente de me répondre est faible. Elle me donne l’impression de se faufiler sur le bord des lèvres de quelqu’un qui se trouve à l’entrée d’un grand labyrinthe et qui craint de s’y perdre.

- Pour Émilie, oui... Enfin, d’une certaine façon ! Elle pense bien qu’il existe "quelque chose", mais c’est si vague, si flou que pour elle cela n’a pratiquement pas de consistance. Je ne lui en veux pas ; j’ai vu qu’elle n’avait pas de références pour réfléchir un peu. Elle croit en quelque chose, en théorie - disons comme sa mère - mais ça s’arrête là.

- Et Pierre ?

- Lui, c’est autre chose, je l’ai bien vu. Il dit que non, que l’âme n’existe pas. Non pas parce qu’il est contre mais simplement parce que ça lui fait peur. S’il décou­vrait qu’elle est une réalité, cela bouleverserait tellement son monde intérieur avec son semblant de cohérence que ce serait une bombe face à laquelle il se trouverait tel un enfant désemparé. Je ne lui en veux pas non plus ; la plu­part des gens lui ressemblent, vous le savez bien. Ils ne sont pas si adultes qu’ils en ont l’air ! Pour ne pas affronter leurs peurs, ils choisissent de vivre avec les volets fermés. Leur horizon reste le même, ainsi il n’y a pas de vertige possible et, surtout, cela les rend un peu moins responsables. « Avant le corps, il n’y avait rien et après lui, il n ’y a évidemment rien ! » N ’est-ce pas plus simple ? Alors un avortement, au milieu de tout cela, c’est juste un détail technique. J’ai été un détail, voyez-vous ! C’est ce genre de constatation qui blesse aussi le coeur...

Le grand regard bleu de Florence vient à nouveau de se plaquer contre le mien ainsi qu’aux premiers instants de notre rencontre. Avons-nous fait du sur-place dans le dépassement de sa souffrance ? J’ai la sensation que je dois devenir plus ferme. Si je pouvais au moins la saisir par les deux épaules pour être certain qu’elle ne commence pas à emprunter le chemin engourdissant des victi­mes !

- Explique-moi, Florence... Tu me disais que tu étais en colère mais là, à deux reprises, tu viens de m’affirmer que tu n’en voulais ni à Émilie ni à Pierre.

- Oui... Enfin, je ne sais plus... Je leur en veux peut-être malgré tout. Je crois que ce que j’accepte mal, c’est la volonté de ne pas savoir, la volonté qu’ont la plupart des gens de fermer les yeux sur ce qui ne les arrange pas dans l’instant. Ne pas vouloir savoir, c’est se dégager des éventuelles conséquences de ses actes. Il me semble que c’est à cause de ce genre d’attitude que j’ai accepté de vous rencontrer et de vous livrer à ce point le fond de mon cœur. Au moins, je ferai peut-être avancer la ré­flexion, la prise de conscience. Je crois que c’est la bêtise et le manque d’amour qui font monter en moi des élans de colère. On peut accepter bien des choses, faire face à bien des refus quand il y a un minimum d’amour derrière eux.

- Mais, dis-moi, tout à l’heure tu me parlais du risque d’accepter Pierre et Émilie pour parents et tu t’es dite aussi prévenue de la douleur d’un rejet, même après deux mois. Tu savais donc ce qui allait arriver... Il y a quelque chose, comme une contradiction, que je ne comprends pas vraiment entre ta révolte présente et la connaissance anticipée de ton avortement.

- Je sais... Mais ce n ’est pas aussi mathématique que cela. Il s’agissait bien d’un risque, d’une probabilité. Dans quelque direction que l’on aille, il y a toujours une marge de liberté. J’ai de la difficulté à le reconnaître en cet instant présent, cependant c’est précisément cet espace de liberté qui nous fait grandir. En fait, il n’était pas "écrit d ’avance" que mes pa­rents ne seraient pas mes parents et qu’ils me refuse­raient. L’épreuve par laquelle je devais passer était aussi dans l’acceptation d’un moment d’insécurité, d’indéci­sion. J’étais d’accord pour cela... Quand on a vécu quel­que temps "là-haut", tout paraît souvent si simple... On voit les choses avec des yeux purs et pleins de force, on comprend les finalités. Bien des événements en probabilités paraissent alors acceptables ! En ce qui me concerne, je dois avouer que j’aurais pu refuser cette épreuve... ou plutôt la repousser à une autre vie.

- Tu as voulu t’en débarrasser tout de suite, en quel­que sorte.

- Non... Non... Ce n’était pas cela. En vérité, cela s’appelle l’orgueil, je crois. Par bra­vade et face aux amis qui me guidaient, j’ai juste voulu affirmer que j’étais assez forte. Je me suis dit : « Je pars, il y a une chance sur deux pour que je revienne vite... Si c’est cela, ça fera sans doute un peu mal et puis, ce sera tout, je reviendrai. » J’ai sans doute été stupide mais, après tout, c’était peut-être aussi parce que c’était moi qui devais vous parler de tout cela. Qui sait ? Vous voyez, que l’on soit d’un côté ou de l’autre du miroir, nous restons des êtres humains, avec nos incohérences.

- En t’écoutant, j’aurais envie de parler d ’une compli­cité étroite, bien que souvent inconsciente, entre les deux versants de la Vie. Es-tu de mon avis ?

Florence ne me répond pas tout de suite. C’est à nou­veau son visage entier qui m’apparaît comme dans un mouvement de zoom arrière générant, du même coup, une onde lumineuse aux accents fortement rosés.

- Oui... C’est cela et j’éprouve encore de la difficulté à le reconnaître. De part et d’autre du rideau de la Vie, nous semons totalement ce qui nous arrive et qui nous construit. Il n’y a personne à accuser. Maintenant... j’aimerais juste un peu de silence et de solitude. J’ai besoin de me retrouver... et d’inventer à nouveau une colonne vertébrale pour mon âme. Vous le voulez bien ?

(Pour connaître la suite, lire "Le Non désiré" de Daniel Meurois - Ed. Le Passe-Monde)


Le non désiré Le_non10

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