Les inquiétantes prédictions d’un magnat de la finance

Pour Chris Probyn, économiste en chef d’un groupe financier américain, la Fed fait tourner en vain la planche à billet, l’économie américaine n’a plus de moteurs et l’Europe est au bord de l’implosion.




Les financiers ne sont pas tous adeptes de la langue de bois. Il suffit parfois qu’ils ne soient pas devant les projecteurs pour que soudain leur langue se délie. On se souvient des propos récents de l’ex-patron de Jérôme Kerviel à la Société Générale. Jean-Pierre Mustier prévoyait l’apocalypse. Cette fois, c’est au tour de Cris Probyn de jouer les Cassandre. Ce britannique, qui vit aux Etats-Unis, est l'économiste en chef de State Street Global Advisors, l’une des plus grosses sociétés financière du monde. Elle gère la bagatelle de 2.000 milliards de dollars.

De passage à Paris Chris Probyn a livré à Challenges ses confidences sur la situation économique en Europe et aux Etats-Unis. Son constat est plus qu’inquiétant. Selon lui, les ressorts de l’économie américaine sont totalement cassés et la zone euro est au bord de l’implosion.

Les deux moteurs de l’économie américaine sont en panne

"Conduire une politique monétaire, c’est comme promener un chien, explique l’économiste pour faire comprendre pourquoi l’action de la Fed n’a pas eu les effets espérés. Vous raccourcissez la laisse pour qu’il ralentisse, ou vous lâchez du lest pour qu’il galope. Mais si le chien est mort, cela ne sert à rien de manipuler la laisse".

Or, le chien américain serait moribond. Chiffres à l’appui, dans ce salon de l’Hôtel Four Seasons, Chris Probyn démontre que les ménages américains se sont appauvris de 16 milliards de dollars entre 2008 et 2010, pas à cause de la baisse de la Bourse, mais en raison de la chute de l’immobilier. Pour se refaire une santé, ils ont donc réduit leur endettement et de fait, leur consommation.

Autre problème, il y a aussi de plus en plus de logements vacants. "A cause de la crise, les enfants retournent vivre chez leurs parents et les divorcés préfèrent vivre sous le même toit, même s’ils ne s’entendent plus." Consommation et immobilier en panne : les deux ressorts de l’économie américaine sont cassés, et la baisse des dépenses publiques n’arrange rien. "Nous aurons au mieux une croissance de 2 à 2,5% en 2012, en fonction des décisions de politique budgétaire", conclut Probyn.

C’est toujours mieux que dans la zone Euro, où les prévisions de croissance de State Street sont inférieures à 0,5%. "Vous pouvez toujours vous en prendre aux Grecs, lance l’économiste. Mais ce n’est pas, de très loin, le problème le plus grave en Europe." Pour lui une sortie de la Grèce de la zone euro, ne ferait du mal qu’à ce pays, mais les autres n’en souffriraient pas.

En revanche, il y a de vrais problèmes et pour le prouver, il brandit un graphique qu’il se fait un plaisir de commenter : "depuis la création de l’euro, l’Allemagne a gagné 28 points de compétitivité, la France a stagné, et l’Italie a perdu 13%, quel est l’intérêt d’un tel système, pourquoi le maintenir ?". "Parce qu’on ne sait rien faire d’autre", répond-on un peu penaud. "Réponse honnête" juge-t-il.

Soit l’Europe accepte plus d’intégration, soit elle explose en vol

Tous les efforts faits pour libéraliser le marché du travail, rendre les contrats plus flexibles, réduire la dépense publique, tout cela va dans le bon sens. "Mais vous ne sortirez pas de cette situation par l’austérité", répète Chris Probyn. Il faut donc aller vers plus d’intégration européenne, sinon, la zone euro explosera.

L’économiste semble ici affecté d’un syndrome typiquement anglo-saxon. Aux Etats-Unis par exemple, l’économie peut sombrer, mais en général elle repart encore plus fort. Dans la zone euro, ce ne se passe pas comme ça. Si on suit le raisonnement économique de Probyn, le système devrait exploser dans la mesure où les trois pays clés que sont l’Italie, la France et l’Allemagne divergent trop fortement.

L’ensemble ne tiendrait le choc que par la seule volonté politique. Et les Américains n’ont, eux, jamais compris, depuis la création de l’euro, comment une construction politique pouvait devenir une réalité de marché. "Il n’a y pas de complot américain contre l’euro, affirme-t-il. C’est juste que lorsque cela va mal en Europe, on ne sait toujours pas qui appeler." Sur ce point, Chris Probyn n’a pas tort.

Pour faire le constat que nous sommes au bord du gouffre, à peu près tout le monde est d’accord, mais tous ne le disent pas aussi franchement que ce Mr. Probyn.

En revanche, il est navrant de constater à quel point tous les « officiels » sont pauvres en solutions alternatives et notamment les anglo-saxons qui ont beaucoup de mal à comprendre le modèle européen continental et plus particulièrement français.

Prenez ces deux phrases : Tous les efforts faits pour libéraliser le marché du travail, rendre les contrats plus flexibles, réduire la dépense publique, tout cela va dans le bon sens. "Mais vous ne sortirez pas de cette situation par l’austérité"
elles sont extrêmement significatives d’un système de pensée qui tourne à vide.
Pour un néolibéral, tous les maux proviennent de la dépense publique et de ces satanés salariés qui plombent les profits en alourdissant la sacrosainte compétitivité ; il faut donc égorger cet Etat providence et ces fainéants qu’il engendre… mais en même temps il ne faut pas créer d’austérité qui empêche lesdits fainéants de dépenser un salaire en berne qui ne peut même plus être compensé par un salvateur crédit revolving et voilà que ces abrutis de pauvres ne consomment plus ce que l’on s’acharne à mettre sur le marché et plantent Sainte croissance !

Pourtant il y a des solutions, bien sûr, mais elles passent par une logique humaine et non comptable ou financière. Surtout, il faut avoir l’audace de se libérer des modes de pensée actuelles et innover… tiens, mais c’est le thème de ma chronique de février, ça ;o)
(en ligne sur SOIS.fr)

Fraternelles salutations

Simon a écrit:

Pourtant il y a des solutions, bien sûr, mais elles passent par une logique humaine et non comptable ou financière. Surtout, il faut avoir l’audace de se libérer des modes de pensée actuelles et innover…

Le noeud du problème est bien là me semble-t-il. Malheureusement je n'ai pas l'impression que nos hommes politiques pensent de même (mais on le sait déjà et on sait pourquoi). Au contraire, on veut relancer la consommation, diminuer les prestations sociales (déjà faire la chasse aux abus serait pas mal... à tous niveaux que se soit !), diminuer le coût du travail, libéraliser encore plus etc. On a le sentiment qu'ils sont à la tête d'une locomotive et qu'ils ont décidés de foncer droit dans le mur (avec les wagons derrière)...

Les chroniques de Maître Simon février 2012 (Source SOIS.fr)

Ce n'est pas tant la qualité d'écriture qui me séduit dans les chroniques de Me Simon, même si elle est sophistiquée et ne manque jamais d'humour, que sa recherche documentaire et surtout l'altitude du penseur qui sait, avec une lucidité peu commune, décortiquer les mécanismes par lesquels notre économie s'enraye et fédérer l'ensemble des possibles pour nous permettre d'entrevoir comment sortir d'un monde inéluctablement voué au naufrage. C'est aussi, au-delà du drame quotidien que certains vivent déjà et qui s'annonce pour le plus grand nombre, un regard vivifiant et confiant sur la nature humaine. Jachal


Sous la neige

Pendant que les « jités » découvrent avec stupéfaction qu’il fait froid en hiver, la bête néolibérale continue inlassablement de ramper sous la neige, cette bête têtue qui continue, obstinée, son travail de sape d’une démocratie déjà chancelante.

Je me répète : je disais la même chose en été … et sans doute au printemps aussi. C’est que cela fait plus de trente ans que, sans répit, détournant notre regard ou, au contraire l’attirant de façon hypnotique, l’œuvre destructrice progresse partout. Uniformisant les modes de vie et les pensées, elle fait accepter son modèle inique, au début par un rêve de progrès, désormais par la peur du saut dans le vide.

Alors, le tapis neigeux amortissant le bruit, on n’entend pas ces lois que nos « représentants » votent servilement et qui resserrent encore le carcan liberticide.
Ainsi cette proposition de loi française qui, sous prétexte de sauvegarder le nécessaire secret des entreprises, permettrait d’empêcher les journalistes d’investigation de « sortir » des affaires gênantes sur ces grosses sociétés qui n’ont plus que la cupidité pour loi (1).
Ainsi, cette tentative lancinante d’imposer à l’Union Européenne, malgré les grosses réticences de son Parlement, le traité de l’ACTA qui livrerait plus encore le monde aux grandes entreprises (2). Mais cette fois, les citoyens veillent et tentent de mettre en lumière ce que cachent les négociations secrètes du traité (3).

Ainsi encore, avec le traité budgétaire adopté le 30 janvier dernier par 25 pays sur 27, qui soumet les budgets nationaux au dictat (4) de la Commission Européenne : malgré l’opposition du Parlement Européen qui, dans une résolution adoptée à une majorité de 521 voix contre 124 (et 50 abstentions), a émis des « doutes quant à la nécessité d’un tel accord intergouvernemental (5)», les gouvernements vont faire adopter par leur législation nationale des règles de discipline budgétaire que personne ne respecte et des sanctions automatiques qui n’ont jamais été mises en oeuvre et qui ne le seront certainement jamais. En revanche, quel bel épouvantail pour faire pression sur le peuple et lui imposer des mesures inacceptables !

Des mesures aux conséquences terribles dont les médias serviles se gardent bien de nous parler. Pourtant, toujours avides de sensationnel, quelle belle info cela ferait en ouverture du 20 heures que l’histoire de ces enfants grecs que leurs parents sont contraints d’abandonner, ne pouvant plus les nourrir (6). Oui, aujourd’hui, en 2012, en Europe, des parents sont poussés à l’extrême de la souffrance et de l’horreur parce que quelques oligarques sensés les représenter préfèrent payer les banques plutôt que de permettre aux plus faibles de se nourrir ! Mais on préfère nous parler de montagne de dettes et de la mise en place de la rigueur discipline budgétaire.

On en est là et mon voisin Gaston m’a expliqué doctement qu’il n’y avait pas d’autre solution : « pensez donc, avec la dette qu’on a, faut bien faire kek chose, c’est ça ou le chaos ! »

Ce brave Gaston a tellement bien ingurgité sa leçon qu’il ne lui reste plus beaucoup de « temps de cerveau disponible » pour penser par lui même. Ce n’est même pas un salaud, Gaston, mais il ne se révolte pas devant le résultat de trente ans de néo libéralisme débridé. Et pourtant, quel être humain pourrait accepter que l’on abandonne un seul enfant pour payer une banque ?

Pour tuer la démocratie qui l’empêche de se goinfrer en paix, la bête a anesthésié l’humain. C’est logique : si la démocratie est le gouvernement du peuple par et pour le peuple, il suffit de transformer ce dernier en esclave volontaire … et la démocratie devient un système pour les esclaves.

Il est grand temps de repenser l’intégralité de notre système, de repartir sur tout autre chose, notre système démocratique a fait faillite, il est désormais au service d’une extrême minorité qui opprime la majorité : liquidons le. N’ayons pas peur des mots, il faut tout réinventer, c’est la condition de notre survie.

Quand on regarde autour de soi, que l’on écoute, que l’on lit, dès lors que c’est hors du circuit habituel de la bien-pensance, on se rend compte que les gens fourmillent d’idées, que nombre de penseurs ou de simples citoyens sont déjà passé à autre chose et inventent le monde de demain.

En économie, le succès des « économistes atterrés (7 )» ou de Jacques Généreux(8), montre que, de plus en plus de personnes comprennent qu’il y a des alternatives possibles, que ce n’est pas nécessairement la rigueur ou le chaos ; en sociologie, des penseurs comme Edgar Morin (9) et bien d’autres avec lui, ouvrent des voies au service de l’humain ; ailleurs, la liste serait longue s’il fallait citer tous les Pierre Rabhi, Emmanuel Todd, Stéphane Hessel, Hervé Kempf et tant d’autres moins médiatisés ; sur le terrain, des initiatives solidaires de plus en plus nombreuses démentent le postulat de l’individualisme roi.

Il n’y a guère qu’en politique où les choses bougent peu. Entre d’une part, la droite dite républicaine, a priori convaincue par les mérites du système néolibéral et d’autre part la gauche sociale démocrate (écologistes compris) qui est, soit convertie au système, soit persuadée de l’inexistence d’une autre solution, c’est la grande majorité de l’offre politique qui est enlisée.

La raison de l’enlisement idéologique me paraît évidente et pourtant je suis, semble-t-il, peu suivi sur cette voie : c’est la professionnalisation de la politique qui a tué la démocratie. Une grande partie de la solution viendrait d’une refonte totale de la démocratie représentative.
Si en effet le pays était à l’image du Parlement, il y aurait bien peu de femmes en France, bien peu d’ouvriers et d’employés aussi, mais alors, que de fonctionnaires (majoritairement enseignants), que de cadres, que d’administrateurs de sociétés (10) !

La professionnalisation de la politique a confisqué le pouvoir au peuple, ses représentants ne le représentent plus. En leur offrant une carrière, on a ouvert la porte à toutes les possibles dérives : tous n’ont pas la force de caractère pour voter dans le sens de leurs convictions contre les instructions d’un parti qui leur attribue « leur » circonscription (le citoyen étant réduit à voter pour les «présélectionnés »).

Imaginez un parlement qui, pour refléter une image fidèle du pays, serait constitué pour, disons les deux tiers, de citoyens volontaires tirés au sort en fonction de leur sexe et de leur catégorie socioprofessionnelle et bien sûr, qui n’exerceraient qu’un seul mandat non renouvelable.

Plus de pression possible des partis ou des lobbies. N’ayant plus que leur conscience et leur conviction pour guide, les représentants ainsi élus pour leur unique mandat pourraient se consacrer exclusivement à l’intérêt général et l’on assisterait à une baisse singulière de la puissance de la finance : l’argent perdant son influence sur la désignation et le renouvellement du parlementaire, les financiers verraient leur importance ramenée à leur juste place.

Par ricochet, un gouvernement sur lequel un tel Parlement indépendant exercerait un réel contrôle n’aurait d’autre issue que l’intérêt général et non plus celui de telle catégorie de citoyens ou pire, celui des forces qui aujourd’hui peuvent le faire ou le défaire.
Certes ceci n’est que le début de l’ébauche de ce que pourrait être un renouveau de la démocratie et il faudra encore pas mal de matière grise et d’audace pour concevoir un système juste et efficace.

Mille domaines de la vie en société devront être régénérés et repensés et notamment celui de l’énergie qui, sans la puissance des lobbies pétrolier et nucléaire serait depuis longtemps libre et gratuite, celui de l’information qui devra se libérer de ses maîtres industrialo financiers, et tant d’autres encore.

Mais tout cela bouge déjà ; malgré la neige, des idées fortes bourgeonnent et bientôt écloront car en fait, pour beaucoup sur cette Terre, c’est certainement l’Homme qui est en train de changer pour devenir enfin humain.

Me. Simon

1 http://tempsreel.nouvelobs.com/medias/20120201.OBS0327/medias-secret-des-affaires-ou-secret-tout-court.html
2 voir ma chronique de mars 2010 : « l’ami de l’AMI et la stratégie de Dracula ».
3 http://www.avaaz.org/fr/eu_save_the_internet_fr/
4 petit rappel de circonstance : de l’allemand « diktat » : dictée, volonté imposée par la force.
5 résolution du 18/01/12 http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference=P7-TA-2012-0002
6 http://www.courrierinternational.com/article/2012/01/12/les-orphelins-de-la-crise
7 http://atterres.org/
8 « Nous on peut » éditions du Seuil
9 notamment « La Voie » Chez Fayard
10http://www.assemblee-nationale.fr/11/tribun/csp1.asp

Merci Jachal, c'est toujours un plaisir de lire les chroniques de Simon.
J'en profite pour signaler qu'une nouvelle catégorie a été créée : Politique & Société (16ème catégorie en partant du haut).
Je vous demande donc d'insérer vos messages concernant tout ce qui touche à ces sujets (politique, société, finance, etc...) dans cette rubrique.
Merci d'avance !
Régis

Merci Jachal, c'est toujours un plaisir de lire les chroniques de moi même.
Mais maintenant que j'ai été élevé au rang de "penseur", j'ai la grosse tête et je ne sais pas si je condescendrai à venir débattre avec le petit peuple.
Bon, allez, je vais faire un effort*.

Bonne idée Régis que cette nouvelle rubrique !

Ciao Ciao !

* A toutes fins utiles, j'invite les éventuels adeptes du 1er degré à lire mes propos à la lumière de la devise qui s'affiche sous mes messages.