Nombre de messages : 5359 Age : 67 Localisation : Un petit coin de paradis sur Terre Humeur : Optimiste Date d'inscription : 05/06/2006
Sujet: Le retour de Little Bouddha Jeu 24 Mai - 12:06
Le retour de Little Bouddha
Après six ans de méditation silencieuse et solitaire, le jeune sage qui fascine le Népal attire à nouveau les pèlerins.
La jungle de Patalaya s’étend jusqu’à l’horizon. Le monde entier a découvert cette région perdue du Népal en mai 2005. Un jeune moine de 15 ans venait d’entrer en méditation. Pour six ans. Comme Siddharta Gautama, son modèle, le prince hindou qui, cinq cents ans avant Jésus-Christ, abandonna le monde pour atteindre l’état d’« éveillé », « Bouddha » en sanscrit, l’ancêtre des langues indo-européennes. A deux heures de marche de son pauvre village natal, Ram Bahadur Bomjan s’est installé au pied d’un banian, le figuier géant de la péninsule indienne. Assis en lotus, les mains reposant sur les genoux, paumes offertes au ciel, immobile et les yeux clos, il ne mange ni ne boit.
«C'est un dieu»
Impressionnés par l’exploit – certains commencent à parler de miracle –, les paysans des environs se prosternent devant l’adolescent vêtu d’une longue tunique de toile. Il ne montre aucun signe de faiblesse. Normalement, on peut tenir au maximum huit jours sans boire, et quarante-cinq sans manger. « Ce n’est pas humain, c’est un dieu », commentent les premiers pèlerins alertés par la rumeur. Très vite, ils sont des dizaines de milliers. Les télévisions locales, puis internationales, arrivent dans leur sillage. « Petit Bouddha » est devenu une star, et il ne desserre toujours pas les dents.
Avril 2011, on crapahute parmi les cris des singes et les rais de lumière dans la forêt aux alentours de Ratanpur, le lieu-dit où le petit Népalais a entrepris sa cure de silence. Normalement, il la rompra dans un mois. Il aura atteint l’idéal du « Bodhisattva ». Ses dévots, dont le nombre n’a fait que croître au fil des ans, vont forcément organiser une cérémonie pour célébrer l’événement. Mais où ? Chaque fois qu’on se renseigne auprès des habitants du coin, tout le monde est apparemment au courant, mais tout ce que l’on obtient, c’est un vague « c’est par là ». On croise finalement deux moines en robe rouge et or sur un chemin de terre. Ils nous guident jusqu’à un endroit qu’ils appellent en népalais « Halcoria », « terre de méditation ».
L'immense clôture qui le protège des visiteurs est le don d'un milliardaire coréen disciple de «Little Buddha»
Une immense clôture en fil de fer barbelé court à travers la jungle qui a été sérieusement éclaircie. « Elle fait 13 kilomètres de long », expliquent nos pieux informateurs qui précisent que c’est un don d’un milliardaire coréen disciple de « Little Buddha ». Depuis 2005, sans doute effrayé par sa soudaine popularité, le jeune mystique a abandonné l’ombre de son premier banian et s’est réfugié dans des endroits souvent tenus secrets. On a parlé, à un moment, de cachette souterraine. Il serait réapparu ici il y a trois ou quatre ans. La précision chronologique n’est pas le fort des locaux. Toujours aussi ascétique, soumis au même régime de privation, avec des cheveux lui tombant maintenant sur les épaules, il aurait à nouveau accepté la présence de fidèles, mais à dose homéopathique, et selon un rituel précis. Interdiction de l’approcher à moins de 2 mètres et de le rencontrer entre le coucher et le lever du soleil. Pas question de l’interviewer, c’est un saint, pas un homme politique.
Ces exigences, justifiées par son désir de « détachement du monde », ont alimenté les pires rumeurs de supercherie. Et s’il se nourrissait la nuit ? Les penseurs rationalistes européens ont oublié les stylites, ces ermites des débuts de la chrétienté qui, pour accéder à la « lumière », passaient des années chichement installés au sommet de colonnes de pierre.
L’esprit peut tout, mais pas nous ouvrir les portes du royaume de Petit Bouddha. Quatre autres moines veillent dans une guérite de planches à l’entrée du domaine « sacré ». On ne peut y pénétrer. Ils nous conseillent d’aller voir Kenpo Sonan. Ce jeune docteur en philosophie et méditation a succombé au charisme de Petit Bouddha. Renonçant à soutenir son master de sociologie aux Etats-Unis, ce brillant trentenaire s’est entièrement mis au service de celui qui est sur la « voie de l’éveil ». Il est le seul à s’entretenir à mots comptés avec l’« illuminé » qui, de temps en temps, interrompt son mutisme pour délivrer des messages. Kenpo les transcrit scrupuleusement. Ils seront ensuite diffusés par les moines qui ont spontanément rejoint Petit Bouddha.
Les dons des fidèles ont permis d'améliorer la vie
Kenpo a quitté Katmandou et vit à trois heures de marche de là, à Ratanpur, à proximité du premier banian de « l’histoire ». Un petit monastère y a été édifié grâce aux dons des fidèles. Il y aura bientôt une université bouddhiste. Juste en face, dans sa petite maison blanche aux portes de bois, Kenpo nous montre avec fierté son ordinateur et son imprimante. La « fée électricité » vient d’arriver dans le hameau tropical. Grâce à « Dharma Sangha », « saint des saints ». C’est ainsi que Petit Bouddha souhaite qu’on l’appelle. Tout à côté, à Bunghor, son village d’origine, sa mère, au visage sec et buriné, confie que les disparitions fréquentes de son fils l’angoissent affreusement, même s’il ne lui est jamais rien arrivé dans la jungle. Elle entretient la légende naissante. « Dès son enfance, il adorait suivre les moines errants et visiter les temples. » Elle se prénomme Maya Devi, comme la mère de Bouddha. Les pèlerins la vénèrent comme « la femme qui a donné naissance à un dieu ».
La cérémonie de «l'éveil» devant les fidèles
Kenpo nous a confirmé que la cérémonie de « l’éveil » aurait bien lieu le 17 mai. Rendez-vous la veille à Halcoria qui, cette fois, sera ouverte. Nous y sommes à la date dite. Malheureusement, le Népal, qui a connu une longue guerre civile, est toujours en proie à l’agitation sociale. Des manifestations bloquent la capitale. Il faudra deux jours aux pèlerins venus du monde entier pour rejoindre la jungle de Patalaya. Le 20 mai, ils sont plusieurs milliers à se retrouver pour célébrer le retour au monde de celui qu’ils appellent déjà « le septième Bouddha ». Ils sont de toutes les nationalités, viennent de l’Australie ou du Kazakhstan. Saris, costumes, blue-jeans, voiles, toutes les « dégaines » de la planète sont là. Réunies pour la parole d’un seul homme. Des drapeaux de prière multicolores, accrochés aux arbres, flottent dans la brise légère.
Avec l’aide de Kenpo, Petit Bouddha descend du socle de pierre sur lequel il méditait. Une longue procession se met en marche à travers la jungle et la chaleur accablante. Une centaine de femmes en longues robes rouge sombre, les cheveux piqués de fleurs, ouvrent le cortège dans une atmosphère recueillie. Protégé du soleil par un large dais orange que tient un porteur, l’Eveillé, vêtu d’une immense toge blanche, marche derrière, entouré de Kenpo et de nombreux lamas. Les plus hautes autorités bouddhistes sont représentées. Il y a également un membre du gouvernement. Des dizaines d’enfants courent au milieu de la foule. Toute la scène respire la sérénité. Au bout de trois heures et demie, nous débouchons dans une clairière en bordure d’une rivière. Une gigantesque tente y a été installée. Des banderoles frappées de mantras sont tendues entre les bambous qui font office de mâts.
Petit Bouddha grimpe sur une estrade et s’assoit en lotus. Puis se saisit d’un micro. Le « saint des saints » va se délivrer de son vœu de silence. L’événement est exceptionnel. De nombreux pèlerins sont en extase, quasiment tétanisés, quand sa voix fluette s’élève dans l’air saturé d’encens. Les fidèles s’abreuvent littéralement au flot de ses paroles. Ce sera un émouvant discours sur la paix, l’impérieuse nécessité de tolérance et de réconciliation. Puis le « dieu » s’est tu. Un frisson a parcouru la foule des disciples. Petit Bouddha a enfin conclu : « Je retourne à la paix intérieure. Au silence. » Avant de regagner sa retraite, l’Eveillé bénira des milliers de dévots. C’est de la folie, la file d’attente semble interminable, les policiers qui encadrent la manifestation depuis le début de la journée n’arrivent pas à contenir la cohue. La ferveur est à son comble. Petit Bouddha sourit.