UNIVERSITE PARIS DESCARTES 21 mai 2013 Conférences/Débats
L'association fiXience vous invite à la deuxième conférence imaginaire
Utérus artificiel et maternité, un enjeu de pouvoir ?
L’utérus artificiel implique la possibilité d’une gestation complète d’un bébé dans un incubateur extra-corporel, c'est à dire à l’extérieur du corps d’une femme.
C'est un objet de science fiction qui n'est pourtant pas si éloigné qu'on pourrait le penser.
A travers son cycle de conférences sur l'Utérus Artificiel, l’association fiXience se propose d'explorer cet objet incroyable source de puissantes interrogations portées sur l'être humain et la société.
Mardi 21 mai 2013 - 20h - Utérus artificiel et maternité, un enjeu de pouvoir ?
à l'Espace des Sciences Pierre-Gilles de Gennes (Paris 5).
Quelles conséquences de l’utilisation de l’utérus artificiel sur la vie et la place des femmes dans la société ?
Qu’implique réellement, politiquement et socialement, la mise au monde d’enfants sans grossesse ni accouchement ?
Quels nouveaux droits, quelles nouvelles responsabilités pour ces femmes qui pourraient être mères sans jamais plus accoucher ?
Quelles garanties juridiques pour que la grossesse naturelle reste un choix ?
Quelles conséquences sur les couples ?
Certaines femmes y voient une liberté qui les délivrerait d’une contrainte physique et sociale tandis que d’autres y voient la perte d’un privilège ancestral lié à l’enfantement...
Avec :
Laurence BRUNET - juriste, chercheur à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris I,
Marie GAILLE - philosophe spécialiste de politique, morale et médecine au CNRS-CERSES
Mylène BOTBOL-BAUM professeure de philosophie et bioéthique - Université Catholique de Louvain.
La conférence sera introduite par le spectacle Le Diamant (récit fantastique - théâtre, danse et cirque).
Invitation pour FiXience du 21 mai
L’utérus artificiel : État des lieux et enjeux
17 mars 2013 Marie Chauvier
le meilleur des mondes: L’utérus artificiel, c’est cette technique qui permettrait de faire se développer des embryons humains entièrement hors du corps des femmes, depuis la fécondation jusqu’à la naissance. Ce sujet n’est pas nouveau puisque déjà en 1923, John B.S Haldane, généticien anglais, inventait le terme d’« ectogenèse ». Il ne voyait pas cette théorie comme une fiction, mais bel et bien comme un ensemble de prédictions sur l’ensemble des sciences et des techniques et particulièrement sur les sciences du vivant. Aldous Huxley, quelques années plus tard, publie Le meilleur des mondes, roman d’anticipation dystopique dans lequel il est question d’une société dans laquelle l’ectogenèse serait la normalité et constituerait un programme de conditionnement social au service d’un régime totalitaire mondial doux. Dans cette société, les notions de famille, de père et de mère ont complètement disparu, et la sexualité, source de plaisir, est complètement dissociée de la procréation. Il est clair que les performances techniques ayant permis l’avènement de l’ectogenèse sont soutenues par des modifications sociales allant dans le même sens.
uterus_artificielC’est plus récemment, en 2005, qu’Henri Atlan, scientifique et philosophe des sciences, publie L’utérus artificiel. Cet utérus artificiel est une expérience de pensée, une semi-fiction, qui n’a absolument pas pour but de prédire ou de décrire notre future société, mais plutôt de nous faire réfléchir aux éventualités possibles. Au-delà des performances techniques scientifiques à mettre en place pour réaliser un jour un véritable utérus artificiel, Henri Atlan décide de s’intéresser aux problèmes et aux avantages soulevés par cette expérience de pensée. Il est selon lui important de commencer à réfléchir à ces problèmes d’ordres éthiques et sociaux, car il se pourrait que l’utérus artificiel arrive plus rapidement que nous pouvons le penser, et alors il sera trop tard pour se pencher sur la question.
L’état des lieux scientifique et technique
Concernant le strict point de vue scientifique, on peut dire que les tentatives ont pour l’instant été peu nombreuses et ont montré l’ampleur des difficultés à surmonter avant d’arriver à créer un utérus artificiel capable de gérer entièrement une gestation extracorporelle. En 2002, à l’université de Cornell aux États-Unis, Helen Hung Ching Liu et son équipe ont tenté de reproduire l’implantation d’embryons humains dans une ébauche d’utérus artificiel avec apport d’éléments nutritifs et d’hormones. Ceux-ci ont bien accroché et ont commencé à se développer, mais leur développement a été interrompu volontairement au bout de six jours. Le défi, du moins pour les scientifiques, est de mettre au point un incubateur qui assurerait toutes les fonctions normales de l’utérus, du placenta et de l’organisme maternel dans son ensemble. Il semble que le placenta soit l’élément le plus difficile à reconstituer, car il change perpétuellement de composition au fil de la grossesse. Cependant, du côté strictement scientifique, on ne touche à rien du point de vue fondamental en biologie du développement, Henri Atlan comparant même cela, en forçant le trait, à un « problème de tuyauterie très compliqué »1 !
En l’état actuel des avancées techniques, les équipes médicales sont capables de maintenir des embryons à l’extérieur du corps de la femme jusqu’au cinquième jour, ou à partir de la vingt-quatrième semaine – soit du sixième mois – s’agissant de bébés prématurés. Une ectogenèse complète reviendrait à combler cet écart d’environ six mois. Selon Henri Atlan, les avancées biotechnologiques laissent penser que l’utérus artificiel pourrait voir le jour dans un délai qu’on peut estimer entre cinquante et cent ans. Catherine Vidal, neurophysiologiste à l’Institut Pasteur, semble quant à elle plus sceptique concernant l’imminence d’un tel dispositif technique : « l’ectogenèse est une perspective totalement fantasmatique. Les biologistes ne savent même pas reproduire le cocktail hormonal empêchant la survenue d’une ménopause précoce. Reproduire un utérus complet ? Impensable ! Recréer les conditions physiologiques incroyablement complexes d’une gestation normale ? Non, cela dépasse l’entendement. Seul un cerveau humain serait capable de gérer ces régulations. »2. Il est clair que pour les différentes communautés scientifiques, philosophiques et éthiques, les positions quant à la perspective d’une future ectogenèse sont très hétérogènes.
Une ectogenèse pourrait avoir lieu de deux façons différentes. Selon la première méthode, un ovule de la mère pourrait être prélevé lors d’une petite intervention médicale et serait fécondé in vitro par un spermatozoïde du père, et ensuite l’amas cellulaire pourrait être implanté directement dans l’utérus artificiel. Selon la deuxième méthode, on pourrait imaginer transférer un noyau somatique, c’est-à-dire provenant d’une cellule non sexuelle, dans un ovule énucléé, c’est-à-dire dépourvu de son noyau, puis implanter l’amas cellulaire dans l’utérus artificiel. La technique utilisée ici est alors appelée clonage. Ces techniques soulèvent la question de savoir à partir de quand un gamète devient un embryon. Jusque-là, la réponse était simple : à partir de la fécondation. Seulement dans le deuxième cas, il n’y a pas de fécondation. Dans le cas de l’ectogenèse, la réponse semblerait plutôt être : un gamète devient un embryon quand l’amas cellulaire est implanté avec succès dans l’utérus. Ce n’est qu’après coup, et malgré l’absence de fécondation, que l’on pourrait parler d’embryon. On peut alors imaginer de nouveaux termes pour qualifier ces amas cellulaires, tels « pré-embryons » ou « potentialités d’embryons », cette dernière notion étant plus abstraite. L’ectogenèse permettrait ainside se passer du corps d’une femme en transférant directement ces « pré-embryons » dans des utérus artificiels.
Les enjeux de l’utérus artificiel
Les premières justifications en faveur de l’utérus artificiel seraient probablement médicales, dans le but de permettre à des femmes sans utérus de procréer ou bien d’empêcher certains effets nocifs sur l’embryon, notamment chez les femmes enceintes qui prennent de l’alcool, qui fument ou qui suivent tout simplement des régimes alimentaires inadéquats. Pourtant, il ne fait nul doute qu’une demande se développera très vite de la part de femmes désireuses de procréer tout en s’épargnant les contraintes de la grossesse. Il ne s’agira pas là d’une volonté d’enfant à tout prix comme dans le cas des procréations médicalement assistées (PMA), et de ce point de vue, les enjeux de l’utérus artificiel doivent être rapprochés de ceux de la pilule contraceptive et de la libération de l’avortement, et non pas de ceux des PMA. Ce n’est pas un « droit à l’enfant » qui sera invoqué, mais le droit des femmes à disposer de leur propre corps. Si l’on se place du point de vue particulier des femmes, qui représentent pour l’instant le corps de la gestation en charge de la reproduction sociale, l’enjeu social de l’utérus artificiel est l’égalité des sexes, celle-ci ayant déjà commencé avec l’accès des femmes à la contraception et à l’avortement.
utérus artificiel
La condition féminine
Avec les techniques de contraception, qui ont fait l’objet de nombreuses luttes, la sexualité s’est vue dissociée de la procréation. Par la suite, c’est avec les techniques de PMA que la procréation s’est vue séparée de la sexualité. Mais avec l’utérus artificiel, un nouveau pas sera franchi : la procréation sera dissociée de la grossesse. L’ectogenèse réunira deux caractères dont les finalités sont aujourd’hui opposées : faire naître un enfant et prévenir les grossesses. L’utérus artificiel sera une technique de PMA, mais sa motivation sera le plus souvent d’éviter aux femmes les servitudes d’une grossesse. L’utérus artificiel, au vingt-et-unième siècle, s’inscrira dans la suite de l’évolution commencée au vingtième siècle vers une séparation toujours plus grande entre sexualité et procréation. On peut alors penser que l’utérus artificiel achèvera la libération sociale des femmes en les rendant égales aux hommes devant les contraintes physiologiques liées à la procréation.
Cependant, il n’est pas du tout évident de synthétiser la pensée des femmes à propos de l’utérus artificiel, car d’ores et déjà différents courants féministes (courant identitaire, courant différentialiste, courant matérialiste, etc.) opposent leurs revendications. Le seul dénominateur commun que ces courants possèdent est la revendication des femmes à disposer de leur corps, ce qui ne signifie pas que toutes les femmes considèrent l’utilisation de l’utérus artificiel comme libérateur, bien au contraire parfois. Gena Corea, dans son livre The Mother Machine publié en 1985 aux Etats-Unis, dénonce les technologies de la reproduction en tant que nouveau moyen d’appropriation du corps des femmes par le pouvoir masculin des « pharmacrates ». Ainsi se demande-t-elle si libérées des contraintes physiologiques, les femmes ne risqueraient pas de devoir renoncer à leur « pouvoir maternel ». De plus, certaines femmes, loin de voir dans la grossesse et l’accouchement une quelconque servitude, y voient au contraire une bénédiction et un bonheur exceptionnel, un privilège même par rapport à celles et ceux qui n’en font pas l’expérience.
Si l’utérus artificiel était justifié par des raisons médicales, très vite la gestation extracorporelle pourrait devenir la norme. La gestation intracorporelle resterait le résultat de choix idéologiques, affectifs et esthétiques de femmes désireuses de faire l’expérience de la grossesse dans leur corps. Il est alors légitime de se demander si l’avènement de l’utérus artificiel bouleverserait nos relations familiales. L’absence de relations « normales » entre la mère et l’enfant durant la grossesse aurait-elle des répercutions sur le développement du futur enfant ? Le sentiment maternel s’effacerait-t-il au fil du temps ? Finalement, la maternité dans le cas d’une ectogenèse deviendrait très proche de la paternité actuelle. Comme la paternité, la maternité devrait être construite. Et la différence des sexes dans la procréation et la filiation pourrait disparaître en tant que donnée de la nature.
Écrit par : Marie Chauvier, fiXience
Sources:
1 Henri Atlan dans L’utérus artificiel, Editions du Seuil, Paris, 2005, p.37.
2 Sollicitée par Catherine David dans « La machine à bébés », Le Nouvel Observateur du 7 avril 2005