Ukraine-Irak : ce qui s’appelle « avoir tout faux » !
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Le 19 août 2014
Faute d’avoir servi la paix en Ukraine, on risque désormais une guerre entre deux pays européens majeurs.
Deux évidences s’imposent aujourd’hui sur la scène internationale. La politique américaine est fondée sur la poursuite d’intérêts propres aux États-Unis et de plus en plus mal cachés par un discours moralisateur dont les conséquences incohérentes sur le terrain prouvent à chaque instant l’hypocrisie. L’Europe qui s’est dotée d’un représentant unique en la personne de madame Ashton est inexistante. Elle suit les États-Unis jusqu’à se tirer une balle dans le pied dans ses échanges commerciaux avec la Russie.
La seule logique apparente de Washington est une hostilité continue à l’encontre de la Russie, comme si l’URSS existait toujours. C’est elle qui a été à l’œuvre dans la tentative de renversement du régime du président Assad en Syrie, le seul allié de Moscou en Méditerranée. L’aide apportée aux rebelles a conduit à une épouvantable guerre civile. Les islamistes ont pris le dessus au sein de la rébellion. Leurs exactions sont aux antipodes des valeurs que les Américains prétendent défendre. Le village yézidi de Kocho, à la frontière syro-irakienne, vient de subir un massacre. 70 personnes ont été assassinées, des hommes essentiellement, tandis que les femmes auraient été enlevées. Par ailleurs, l’EIIL responsable de ces crimes aurait également tué 700 membres d’une tribu syrienne.
En voulant détruire le dernier allié du Kremlin, le prix Nobel de la paix Obama a suscité l’implantation, à cheval sur la Syrie et l’Irak, d’une monstruosité politique : un califat salafiste qui ne retiendrait de l’islam que ses aspects les plus repoussants, dans un retour en arrière absurde. La bizarrerie des alliances américaines dans cette région du monde, avec le soutien à Israël d’un côté, les liens puissants et continus avec les monarchies pétrolières et islamistes ainsi que la vieille amitié turque de l’autre, suscite des doutes sur la cohérence peut-être, et sans doute sur la sincérité et l’honnêteté des intentions. D’une part, les guerres entre arabes ou musulmans donnent plus de liberté à Israël. D’autre part, les soutiens des monarchies aux mouvements islamistes, avec des rivalités entre les uns et les autres, les Frères musulmans et les salafistes, le Qatar et l’Arabie saoudite voire la Turquie, protègent pour l’instant ces régimes d’un retour de boomerang, et permettent d’entrevoir une recomposition géographique qui serait satisfaisante pour certains intérêts politiques et économiques. Les États-Unis ont tendance à aimer les sécessions chez les autres. Ils l’ont prouvé en Europe, dans les Balkans en particulier.
Le Conseil de sécurité a adopté, le 15 août, une résolution appelant à sanctionner des personnes liées à « l’État islamique », et enjoignant les États d’empêcher le financement ou le recrutement à destination du prétendu califat. On ne peut que s’étonner de la prise de conscience tardive du danger, alors que le monstre est de belle taille, riche et puissamment armé, et que des fanatiques – convertis ou non, ressortissants des démocraties occidentales – le rejoignent. De même, la faiblesse de la réaction militaire occidentale, une guerre par procuration trop lentement menée pour apporter aux populations persécutées le secours indispensable, est inquiétante pour ce qu’elle dissimule.
Les sanctions contre la Russie et un certain nombre de responsables russes ont été plus rapides, même si bien sûr elles n’émanaient pas de la même instance. L’Europe a eu le grand tort de s’y associer. Elle en subit les conséquences dans ses échanges avec la Russie. Il paraît évident que l’Europe avait tout intérêt à affirmer une plus grande neutralité afin de garder un rôle d’intercesseur entre Kiev et Moscou, que sa proximité géographique et culturelle lui octroyait naturellement. L’Ouest de l’Ukraine n’était pas russe avant d’être soviétique. L’Est l’a été durant des siècles. Le tragique génocide par la faim, que les Ukrainiens nomment « Holodomor », perpétré par Staline, laisse des traces douloureuses dans la conscience collective. Il a sans doute, aussi, contribué à un remplacement de population. Devant cette situation délicate et compliquée, où la part affective, de ressentiment, de nostalgie, d’orgueil aussi, joue un grand rôle, l’Europe devait jouer finement… Elle a suivi le char lourd de l’Oncle Sam.
Le résultat est catastrophique. Faute d’avoir servi la paix en Ukraine, on risque désormais une guerre entre deux pays européens majeurs. Pour le coup, les heures sombres sont vraiment de retour. Faute d’avoir empêché la guerre en Syrie et de ne pas l’avoir faite à temps en Irak, on a laissé se répandre les massacres et les souffrances des populations dans ces deux pays. L’agitation fébrile de nos dirigeants, leurs déplacements, leurs réunions, leurs discours creux ne sont à l’évidence pas à la hauteur des enjeux. La voix de la France a disparu. Mais pour se faire entendre, elle a besoin d’une indépendance à laquelle elle semble avoir renoncé.