Les chroniques de Daniel Meurois
Juillet 2009
Je ne cesse d’être étonné par les incohérences de notre société… Il a peu de jours encore, je m’émerveillais moi-même devant la beauté d’un coffret de bois torsadé et de palmes tressées. Un petit coffret tout simple cependant, sans réelle valeur marchande et comme il en existe des quantités à travers le monde. Un de ces objets parmi une multitude d’autres vraisemblablement importés de Taïwan ou d’Indonésie.
Pendant quelques instants je me suis demandé ce qui, dans son esthétique, pouvait bien retenir ainsi mon attention. Ce n’était pas sa conception ni ses teintes, plutôt classiques à tout bien y réfléchir. Non… le secret de sa beauté, ce qui accrochait mon regard, c’était sa patine, son petit côté antique… Faussement antique, bien évidemment. Toute l’attention et le savoir-faire de ceux qui l’avaient conçu et réalisé s’étaient concentrés sur le seul fait d’avoir voulu le vieillir pour lui donner l’air d’avoir franchi les siècles. C’est cette constatation qui m’a fait me questionner une fois de plus quant à la singulière société dans laquelle nous vivons.
Un étrange monde, en effet, qui admire et recherche tout ce qui porte le cachet du vieux, celui de l’antiquité et qui, parallèlement à cela, fait une véritable fixation sur les privilèges esthétiques de la jeunesse. Qui pourrait en effet nier que les Occidentaux, dans leur globalité, ont peur de vieillir ?
La philosophie dominante qui envahit nos médias est celle du refus du Temps qui passe et de l’âge qui nous rattrape tous, quoi qu’on y fasse. Pour être ¨dans le coup¨ et considéré, il faut donc être beau et jeune - ou le paraître - demeurer avec nos muscles de vingt ans puis lutter contre l’arrivée progressive des cheveux gris, combattre les rides qui s’installent irrémédiablement au coin de nos yeux, quitte à dépenser des fortunes en cosmétiques et enfin en venir au fameux lifting, parfois répété er répété... En résumé, il faut faire croire que… avoir surtout l’air de… L’apparence est un dieu insatiable.
Je ne sais pas combien de milliards d’euros ou de dollars se dépensent ainsi chaque année, entre l’Europe et le continent nord américain essentiellement, mais j’imagine que c’est très impressionnant.
Ne croyez pourtant pas que je sois de ceux qui estiment que l’esthétique soit superflue. La recherche de l’harmonie des formes, des teintes et de toutes les expressions de l’équilibre fait partie de ce qu’il est incontestablement bon d’entretenir. Je n’ai d’ailleurs jamais remarqué que le moindre laisser-aller corporel ni que la moindre attitude ou tenue négligée puisse aider quoi que ce soit à s’épanouir chez l’humain ni soit capable de favoriser la croissance de sa conscience… sous le prétexte facile de ¨décontraction¨ ou de ¨détachement¨.
J’aime le Beau… car il est inscrit au sein même de l’Esprit de tout ce qui est. Je l’aime aussi parce que plus mon âme tente de pénétrer le fonctionnement intime de l’univers, plus elle en approche les lois subtiles et plus elle est stupéfaite d’en découvrir l’ineffable harmonie. Cette harmonie parle d’une esthétique si profonde et sacrée qu’elle ne laisse pas de place à la moindre subjectivité dans la définition de la Beauté.
Seulement voilà, autant j’aime le Beau pour ce qu’il traduit du Divin, autant je n’apprécie pas la tricherie et l’aveuglement maladif d’une société qui vante facilement le caractère de l’antique comme cadre de vie cependant qu’elle pousse ses membres à fuir la moindre empreinte laissée sur eux par le Temps. On tente souvent de s’entourer d’une multitude d’éléments de décor qui évoquent la patine des siècles et des civilisations d’autrefois… mais la moindre tache ou craquelure sur notre peau nous fait frémir. Si on voit en cela la cohérence et la maturité d’une civilisation qui prétend souvent en remontrer aux autres, j’aimerais qu’on me dise où elles se trouvent.
Je ne vous dirai pas que j’aime vieillir, ce serait faux. Personne, me semble-t-il, n’aime cela. Cependant j’aime encore moins les faux-semblants et, plus j’avance, plus ma perception du Beau trouve à s’élargir.
Ainsi il me paraît clair qu’en ce qui concerne l’humain la perception de la beauté n’a pas à être assujettie à la notion de Temps. Pourquoi la patine d’une peau et les rides d’un visage seraient-ils plus dramatiques que les craquelures d’une vieille peinture ou le rebord ébréché d’une poterie d’autrefois ? Les ¨défauts¨ ne pourraient-ils pas devenir des qualités si on parvenait à deviner le chemin parcouru qu’ils racontent ? Ne pourraient-ils pas également devenir des forces si on nous apprenait à y écouter l’enseignement des tempêtes affrontées ? Un chemin de vie ce n’est jamais ¨rien¨ et ses cicatrices sont à respecter car elles témoignent avant tout de l’histoire d’un pèlerinage. Tout est question de regard, d’oreille et bien sûr de cœur…
Il n’est pas question pour moi de blâmer qui que ce soit dans son attitude face aux stigmates du Temps qui passe et qui œuvre car je comprends fort bien que chacun a ses propres blessures à panser et fait face à une logique interne à sa vie. Après tout, chacun a bien le droit de se faire gommer les rides ou de se faire retendre tel ou tel muscle si cela peut l’aider à sentir mieux dans sa peau. Chacun est maître de sa propre histoire et est seul habilité à en connaître les besoins internes.
Si je me suis permis ces quelques réflexions sur l’œuvre du Temps et certains comportements liés à notre culture, c’est seulement pour rappeler que c’est nous, chacun à la place qui est la sienne, qui la fabriquons cette culture et qu’à ce titre nous n’avons pas à nous laisser modeler par elle… tout au moins dans ce qu’elle nous désapprend de la sagesse.
Après tout, ne voulons-nous pas simplement être heureux sans avoir à jouer la comédie de quoi que ce soit ?
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