Daniel Meurois :
L'autre jour, je me trouvais incidemment à une table de restaurant face à une vague connaissance. Position sociale confortable, esprit ouvert, surtout scientifique, comme il se doit, contrôlant sa carrière, gérant bien sa vie et plutôt sympathique de surcroît. Bref, un monsieur bien... et bien cohérent.
Les méandres de la conversation nous amenèrent, en fin de repas, à aborder tout naturellement les progrès techniques de notre civilisation. Des progrès qui paraissent n'avoir plus de fin. Et mon interlocuteur de s'exclamer dès que vinrent sur le tapis toutes ces énergies nouvelles étudiées en laboratoire et sur lesquelles il était manifestement très documenté. Cela allait des dernières découvertes en physique nucléaire aux matériaux supra-conducteurs en passant par les plus audacieuses applications des recherches militaires liées aux radars et répercutées sur notre vie courante. C'était fascinant et je le lui concédais bien volontiers.
Mais, connaissant mes convictions, le monsieur en question ne put s'empêcher, au passage, de me décocher une petite flèche taquine.
- Tiens, me dit-il, avoue tout de même que ce n'est pas comme toutes ces énergies disons... subtiles dont on parle dans certaines revues et que personne n'a jamais vues. Ecoute, poursuivit-il, il faut bien le reconnaître... Ce ne sont jamais que des extrapolations plutôt fumeuses ! C'est une mode que de parler de Taï-Chi, de Chi-Kong, des auras, de ces soi-disant centres énergétiques que vous appelez les chakras ou encore de télékinésie. Cela peut être une philosophie, je veux bien te l’accorder, mais de là à dire que cela correspond à des réalités dont on peut faire quelque chose de constructif... là, je ne marche plus !
Je n'aime pas beaucoup la polémique cependant, tout en le regardant savourer tranquillement les effets de sa supériorité scientifique, j'avançai tout de même quelques arguments. Il fallait au moins lui dire qu'en matière d'énergie subtile il s'écrivait sans doute de-ci de-là des pages trop floues et contestables, mais qu'après tout nous en étions encore à l'époque des pionniers et que la moindre des choses était, à mon avis, de respecter les recherches, forcément difficiles, sur ce nouveau continent. J'avais des exemples et des noms très sérieux à citer, des noms de scientifiques, des physiciens, d'ailleurs.
Je parlais... mais, à vrai dire, je voyais bien que mon vis à vis de table n'écoutait pas. Je veux dire que son opinion était faite et définitive. Elle était modelée par avance, ou plutôt moulée, par ce qui se dit et se répète dans la mêlée générale actuelle.
En fin de compte, il me répondit négligemment en faisant, comme on le lui avait appris dans son milieu, un incroyable amalgame entre l'astrologie, l'homéopathie, les médecines énergétiques... et, évidemment, les sectes. Le coup classique... Je n'ai pas voulu insister. Il avait raison et j'étais un naïf, c'était clair !
Là-dessus, il termina son café, regarda sa montre d'un œil sévère puis s'excusa de devoir me quitter si rapidement.
- C'est que je suis en retard, marmonna-t-il. J'ai rendez-vous chez mon acupuncteur... Une maudite sinusite qui ne veut pas me quitter...
Là, je ne l'ai pas raté !
- L'acupuncteur ? lui ai-je rétorqué. Mais on ne sait pas comment ça marche ça, l'acupuncture ! C'est bien ésotérique, il paraît que ce sont des... énergies subtiles.
Le monsieur m'a regardé tout bête... Il m'a adressé un petit sourire à peine gêné, il a enfilé sa veste puis il est parti.
Un problème ? Non, non...